Dracula V

 

 

 

Je suis assis devant mon bureau, le regard perdu dans le vide. Je n'arrive pas à me concentrer sur mes mails, je repense à la scène de ce matin. L'image d'Amé au réveil et de son sein apparent reste gravée dans ma mémoire et tourne en boucle dans ma tête. La dernière fois que j'ai vu sa poitrine, cela remonte à il y a plus de dix ans, quand elle se promenait encore en culotte ou en bas de maillot de bain dans le château. Petite, elle adorait courir cul nu dans les couloirs, heureusement cette lubie lui est passée. Je me suis rendu compte, il y a un moment que son corps avait changé et qu'il est maintenant devenu celui d'une femme. La petite fille qu'était Amé a disparu au fil des années.

 

Le premier choc que j'ai reçu a eu lieu le jour de ses premières règles. Outre mon bouleversement intérieur face au sang, je ne savais pas quoi lui dire, je n'ai jamais vécu ce genre de chose en tant qu'homme. Heureusement, Anne était là. Elle a su comment réagir et trouver les mots qu'elle avait besoin d'entendre. Elle l'a rassurée en lui disant que c'était tout à fait normale pour une fille et que ce n'étais rien de grave, au contraire. Amé a pleuré un moment, elle a eu beaucoup de mal à accepter le changement de son corps. Elle a maintenant une silhouette élancée de femme, avec des formes là où il faut, qui plairait à tout homme. Concernant son cycle menstruel, c'est une plaie. Je sens l'odeur du sang pendant une semaine partout où elle va, et je dois prendre sur moi pour ne pas perdre la tête. Généralement, je passe la majeure partie du temps enfermé dans ma chambre ou dans la cave et j'attends en serrant les dents. Je suis tellement ronchon et aigri à cette période, qu'on pourrait m'accuser d'avoir mes règles.

 

Quand j'étais encore humain, ce qui remonte maintenant à plus d'un siècle, je n'ai pas fréquenté beaucoup de filles. Je n'étais pas un dragueur ou un homme à femmes. Mon père n'a même pas cherché à me marier au vu de ma santé fragile. J'étais un poids plus qu'autre chose pour lui. Comme il avait l'habitude de dire, "Je n'étais qu'un bon à rien, une bouche de plus à nourrir qui ne lui rapporterait rien", "La honte de la famille" ou "Comment pouvais-je être son fils". Plus jeune, ses mots m'ont beaucoup blessé, puis par la suite, je ne l'écoutais même plus. J'étais passé au dessus de son venin et son avis ne m'importait plus. Je préférais profiter de la vie en m'amusant avec mon meilleur ami et ma sœur. Nous avons fait les quatre cents coups avec Lise et Gabriel.

 

J'ai connu ce dernier à l'âge de dix-sept ans. Il était quelqu'un de charismatique, le genre de personne qui attire tous les regards sur lui, qu'on a envie de suivre. Le fait qu'il fasse un peu plus vieux que son âge jouait peut-être. Lui, par contre, adorait la compagnie de la gente féminine, un vrai Don Juan. Malgré qu'il soit jeune, il fricotait à gauche et à droite. Des jeunes adolescentes aux femmes mariées, tout y passait tant qu'elles avaient un vagin et qu'elles étaient consentantes.

 

Il aimait beaucoup être l'amant de ces dernières, celui avec qui elles goûtaient au pêché interdit en commentant l’adultère. Il s'est fait passer à tabac quelques fois, par un mari furieux qui avait découvert le pot aux roses. Je n'ai jamais compris ce qu'il aimait dans ces relations, je trouvais ça malsain qu'un homme de dix-sept ans couche avec une femme de quarante ans. Surtout pour se faire rouer de coups à la fin. Peut-être aimait-il l'aspect interdit et secret.

 

Cette facette de lui me déplaisait un peu, mais Gabriel était un gars génial. Après tout, on a tous nos défauts. Il était comme un frère pour moi, sur qui je pouvais compter. Il s'est interposé plusieurs fois entre mon père et moi, il avait cette inconscience en lui, il n'avait peur de rien ni personne. Je ne compte plus le nombre de fois où l'on s'est réfugiés dans l'écurie, les joues tuméfiées sous les coups de mon père. Je n'ai jamais connu et rencontré la famille de Gabriel, il a toujours été mystérieux à ce sujet. Je crois que la relation qu'il entretenait avec ses parents n'était pas très bonne. Tout ce que je savais, c'est qu'ils avaient de l'argent. Mon ami était lui aussi issu d'une lignée noble et n'avait aucun soucis financiers.

 

Parfois, il me manque, mais dans ces moments-là, je repense à ce qu'il m'a fait et la haine reprend le dessus. Malgré tout, je ne regrette pas de l'avoir rencontré, j'ai été heureux pendant le temps que je l'ai côtoyé. Vraiment heureux, il m'a tant aidé et soutenu. C'était la bonne époque. Du moins jusqu'au drame...

 

Après ma transformation, j'ai quitté la ville pendant cinq ans. J'ai vadrouillé à droite et à gauche, haïssant la planète entière. C'est à ce moment que j'ai eu mon premier rapport sexuel, avec une fille lambda dont je ne me souviens ni du prénom, ni l’apparence. Elle ne comptait pas, je me suis juste servi d'elle. Par la suite, j'ai enchaîné beaucoup d'aventures, l'excitation et le désir me donnaient l'impression d'être vivant et encore humain. Mais cette illusion n'a pas duré longtemps, la réalité m'a vite rattrapé. J'ai arrêté de côtoyer les femmes, qui au final, ne m'apportaient rien. La réalité était là et elle ne changerait jamais : j'étais toujours ce monstre, un vampire assoiffé de sang.

 

D'ailleurs, cette faim particulière a été très difficile à gérer. Au début, qu'importe ce que je mangeais, je n'étais pas rassasié. J'avais toujours cette sensation d'estomac vide peu importe la quantité de nourriture que j'ingurgitais. Puis, j'ai fini par comprendre. Je n'avais pas faim, mais soif. Soif de sang. Quand je croisais un humain dans la rue, je pouvais sentir le sang pulser dans ses veines. Mes crocs, habituellement cachés et rentrés dans ma gencive, sortaient doucement, recouvrant mes canines.

 

La première fois que j'ai mordu un humain, je ne savais pas comment m'y prendre, ni où planter ces lames acérées. Je n'avais jamais fait ça de ma vie, mais tout s'est passé monstrueusement vite. Instinctivement, je savais comment faire, j'ai trouvé la veine jugulaire du premier coup. Le vampire doit avoir ça dans le sang, même novice il sait comment se nourrir. Après mon premier repas, j'étais dégoûté de moi-même, j'avais mordu et bu le sang d'un humain. J'avais cédé à la tentation en quelques secondes. Le pire est que j'avais pris un grand plaisir à aspirer le liquide chaud et le sentir couler dans ma gorge. Si je ne m'étais pas arrêté à temps, j'aurais pu tuer cette personne. Horrifié, j'ai décidé par la suite de me nourrir d'animaux que je chassais à la tombée de la nuit. Je ne voulais plus boire de sang d'un être humain ! Jamais.

 

Mais évidemment, les premières années en tant que vampire, j'ai lamentablement échoué. Poussé par des pulsions incontrôlables, j'ai attaqué des humains pour boire leur sang. Je n'étais pas fier de moi après bien sûr. J'étais envahi par la honte et dégouté de moi-même. Je ne voulais pas devenir un monstre, j'estimais avoir été un humain avec des valeurs et je voulais les conserver en tant que vampire. Même si j'étais devenu un monstre, je tenais à garder une part d'humanité et une trace de l'homme bon, que j'avais été dans ma courte vie.

 

Depuis que j'ai recueilli Amé dans mon château, j'ai l'impression d'avoir accompli quelque chose de bien dans ma vie de vampire. Parfois, je me dis que c'était mon destin, d'être changé en cette créature immortelle pour la sauver. Je suis persuadé que notre rencontre n'est pas le fruit du hasard et qu'elle était écrite dans les astres. A la pensée de ma douce pierre précieuse, la scène de ce matin revient hanter mon esprit pour la énième fois. Bon sang ! Cette idiote ne peut donc pas dormir en pull col roulé ? Au moins, ses seins ne risquent pas de se faire la malle ! 

 

Je reporte mon attention sur mon ordinateur et décide d'ouvrir le dossier "Améthyste" puis, celui "0-1 ans". J'ouvre les photos et les parcours une à une. J'y vois Amé allongée sur une table à langer, la couche abaissée et les fesses pleines de caca. Voilà de quoi refroidir mes ardeurs et mon esprit perverti. Sur une autre, notre petite Amé régurgite le biberon qu'Anne vient de lui donner, charmant souvenir. C'est à ce moment que je sens quelque chose de chaud et moelleux contre mon dos. Une main se pose devant mes yeux pour me cacher la vue.

 

— Non, mais ça ne va pas ! Ne regarde pas ce genre de photos, la honte, râle Amé.

 

Tiens, elle est déjà rentrée des cours ? Est-elle sortie plus tôt ? Mais alors, cette chose moelleuse que je sens contre mon dos est sa poitrine ? Bon sang ! Je n'ai vraiment plus l'habitude de cette proximité avec une femme, je réagis presque comme un puceau. Faut que je me calme et reprenne le contrôle de mon corps. Je fais le vide dans ma tête afin de chasser les vilaines pensées qui traversent mon esprit. C'est alors qu'Amé me pose une question, une question que je n'aurais jamais imaginé sortir de sa bouche. 

 

— Dis, tu connais un Alucard DE ROSNAY ? demande-telle.

 

 

 

Je suis figé, abasourdi par les mots qu'Amé vient de prononcer. Je reste scotché à l'assise de mon fauteuil, me posant mille et une question. Divers scénarios se dessinent dans mon esprit, mais aucun ne me semble possible ou cohérent. Bon sang ! Comment connaît-elle ce maudit prénom ? Où l'a-t-elle vu ou entendu ? Même Anne ignore l'histoire qui se cache derrière ce nom composé de sept lettres.

 

A part cette fameuse personne, responsable de mon état actuel, personne n'est au courant. Du moins, aucun humain encore de ce monde. Et jusqu'à preuve du contraire, les fantômes n'existent pas. Heureusement, sinon ma sœur Lise se serait amusée à me hanter jusqu'à la fin de mes jours. Etant immortel, je ne vous raconte pas l'enfer que j'aurai vécu avec cette chipie. 

 

Intérieurement, je pousse un long soupir. Alucard... Voilà bien presque un siècle que je n'ai pas entendu ce prénom. Il signifie beaucoup de choses pour moi, dont je ne veux pas y penser et qui appartiennent au passé. Alors comment et où a-t-elle pu entendre ce prénom ? Une boule se forme au creux de mon ventre. Je suis ramené à la réalité par la douce voix d'Amé.

 

— Dra ? s’inquiète-elle. Tout va bien ? 

 

Non, tout ne va pas bien. Au contraire, rien ne va. Pourquoi diable as-tu prononcé ce fichu prénom ? Mon prénom de naissance. Mon cœur se serre, je ressens une douleur lancinante à la poitrine. La tristesse et une profond mélancolie s'emparent de moi, mais je ne le montre pas. Je ne dois rien laisser paraître devant Amé, je ne veux pas qu'elle s'inquiète ou devine quelque chose. Je ne suis pas prêt à lui raconter ma vie passé et mon histoire. Je l'entends prononcer mon prénom, encore et encore. Mais je sais que c'est mon esprit qui me joue des tours, car les lèvres de ma douce protégée restent closes. Elle n'a pas ouvert la bouche depuis qu'elle m'a demandé comment ça allait.

 

J'acquiesce d'un mouvement de tête afin de lui signaler que tout va bien, même si c'est faux. Mon esprit est inondé d'images du passé et de flash-back. La vie que j'avais avant, qui remonte à tellement longtemps maintenant. Parfois, j'ai même l'impression que ce n'est pas la mienne. Que tout ceci n'était qu'une illusion, un rêve.

 

Alucard était un jeune homme beau et intelligent qui aurait pu avoir un bel avenir devant lui. Une famille et des amis avec qui il passait ses journées. Il aimait la vie, essayant de profiter de sa courte existence. Courte ? Oui, car il souffrait d'une maladie incurable, qui à l'époque était encore inconnue : Ataxie spino-cérébelleuse. J'ai mis un nom sur la maladie des dizaines d'années plus tard, grâce à l'avancée de la médecine. Mais malheureusement, maintenant comme à l'époque, elle reste mortelle. Ce nom effrayant qualifie une dégénérescence des cellules de la moelle épinière et du cervelet. Ce dernier assure le maintien de la posture, de l'équilibre et coordonne les mouvements.

 

Au fil du temps, la maladie évolue et les muscles répondent de moins en moins aux messages nerveux envoyés par le cerveau. En resumé, petit à petit, nos membres se paralysent, nous privant de notre liberté. On devient prisonnier de son propre corps. Effrayant, n'est-ce pas ? Le petit Alucard a commencé à tomber, ou à perdre l’équilibre vers douze ans. D'abord de façon périodique, avant que cela devienne de plus en plus fréquent. Ça a commencé par les membres inférieurs, une jambe qui refusait de bouger ou de le soutenir.

 

La peur s'est vite installée, que se passait-il donc ? Voir son propre corps refuser de nous obéir était tellement frustrant et effrayant. On ne savait pas quand ni où ça allait se produire. Plusieurs médecins l'ont examiné, sans succès. Alors le verdict est tombé : maladie inconnue. Il n'était pas comme les autres et se doutait que sa vie serait plus courte que la moyenne. Au début, il a été dévasté. Il s'est posé mille et une questions. Pourquoi ça lui arrivait ? Pourquoi lui ? Qu'avait-il fait pour mériter une telle punition ? Quand allait-il mourir ?

 

Il a beaucoup pleuré dans les bras réconfortants de sa mère, maudissant Dieu qui l'avait lâchement abandonné. Au bout de quelques années, il a fini par accepter son sort et a décidé de vivre avec. Il était malade et rien, ni personne ne pouvait le soigner. Il choisi alors de faire avec et prendre le temps qu'on voulait bien lui donner, avant de rendre son dernier souffre. Il avait décidé de vivre sa vie à cent à l'heure, afin de ne pas avoir de regrets et de profiter des gens qu'il aime. 

 

— Dra, tu m'inquiètes... murmure Amé, me sortant une nouvelle fois de mes pensées.

 

— Ça va, ça va, soufflé-je. C'est juste que je n'avais pas entendu ce prénom depuis si longtemps....

 

— Qui est Alucard ? Ton arrière-arrière-arrière-grand-père ? Tu lui ressembles comme deux gouttes d'eau, c'est incroyable, s'enthousiasme-t-elle. Pire que des jumeaux ! J'ai vu une photo de lui aujourd'hui, il a fait des dons pour aider à la reconstruction de la ville. Il pose avec deux autres hommes. Je te prendrai une photo du tableau avec mon téléphone si tu veux, propose-t-elle gentiment.

 

C'est normal que je lui ressemble, puisque c'est moi. Je me souviens quand et où a été prise cette photographie. Mon père est mort en 1874, soit un an avant le tremblement de terre qui a détruit la ville. J'ai pris les reines et je suis devenu le chef de famille malgré ma santé fragile. Après une longue discussion avec ma mère, nous avons décidé de faire des dons pour aider à la reconstruction. Je n'avais pas encore tout à fait vingt-cinq ans. Ce jour-là, la maladie n'a pas fait des siennes. La famille de Gabriel a aussi donné de l'argent, ainsi que celle d'un certain Louis. Nous avons posé ensemble, nous, les héritiers des familles qui ont offert d'importants dons. J'étais fier d'aider, d'apporter ma pierre à l'édifice. Qu'importe le temps que je passerais sur cette Terre, je pourrais partir en me disant que j'avais fait quelque chose de bien et qui plus est, aux côtés de mon ami Gabriel.

 

— Alucard est un ancêtre lointain. Il est mort dans d’atroces souffrances, mens-je. 

 

— Ah bon ?! s'étonne Amé. 

 

— Oui, il a fini décapité, conclus-je en haussant les épaules.

 

Amé me regarde, les yeux écarquillés, choquée et surprise par ma révélation. Je lui ai sorti un bien vilain mensonge, mais au moins, je suis sûr qu'elle ne me parlera plus jamais d'Alucard, ou alors dans quelques années. Ça devrait la refroidir et couper sa curiosité pour un long moment. Elle sort en silence de mon bureau, me laissant seul.

 

 

 

Je reste un moment assis sur mon fauteuil, le regard dans le vide. Cette courte conversation m'a affecté plus que je ne le pensais. Même si mes souvenirs datent d'il y a plus d'un siècle, ils sont toujours aussi clairs et précis dans ma mémoire. J'ai l'impression que c'était hier, que je cavalais à cheval dans les champs avec ma sœur et mon meilleur ami. Nous étions un trio inséparable, unis comme les cinq doigts de la main. Mon regard se pose sur le premier tiroir de mon bureau, je fixe pendant quelques secondes le bois. Mon cœur se serre tandis qu'une vague de nostalgie m'envahit. Je me lève pour aller fermer la porte à clef, j'ai besoin d'être seul et je ne voudrais pas qu'une Amé curieuse entre dans la pièce maintenant sous peine de devoir expliquer certaines choses. Quelques secondes plus tard, je me laisse tomber dans mon fauteuil. Je pousse un long soupir et tire d'un coup sec la poignée du tiroir en chêne, pour accéder au double fond. C'est ma petite cachette secrète. La dernière fois que je l'ai ouvert, si mes souvenirs sont bons, cela remonte à il y a deux ans. J'avais cédé le jour de l'anniversaire de Lise. Je sors délicatement les papiers qui s'y trouvent et les pose devant moi, sur le bureau.

 

J'attrape une feuille, il s'agit d'une photo en noir et blanc de ma sœur et moi. C'était révolutionnaire, les premières photographies ! Nous sommes bras-dessus, bras-dessous. Je dois avoir une quinzaine d'années et elle onze-douze ans. Nous sourions de toutes nos dents avec nos beaux habits du dimanche. Si je me souviens bien, la robe de Lise était bleu marine, sa couleur préférée. Elle disait que ça se mariait à merveille avec ses cheveux châtains. Je pense souvent à elle, beaucoup de choses dans la vie quotidienne ou à la télévision me la rappelle. Une pêche, son fruit préféré. Une robe bleue. Une fillette ou une adolescente avec des cheveux bruns ondulés. Des frères et sœurs en train de se chamailler. Elle me manque terriblement, elle a eu la chance de mourir humaine et d'avoir eu une belle et longue vie. Sur la photographie suivante, on peut voir ma mère, Marie, et ma sœur vers l'âge de quinze ans. Ma génitrice est assise dans un fauteuil et Lise se tient debout, derrière, les mains posées sur ses épaules. Elles ont l'air bien sérieuses toutes les deux. La prochaine représente la même scène, seul le visage de ma frangine change : elle tire la langue, la chipie. Lise est le portrait craché de ma mère, en plus jeune. Elle a hérité de ses beaux et longs cheveux ondulés châtains et de ses yeux bleus. Même leur sourire est identique. 

 

Sur une autre, nous posons en famille. Les parents sont assis sur un sofa, et nous, les enfants, nous nous tenons debout derrière. Nous sommes tous très sérieux, avec nos plus beaux habits. On avait plutôt intérêt à bien nous tenir si nous ne voulions pas nous ramasser une raclée après la séance photo. Ma mère était adorable, mais mon père était un vrai tyran, une ordure. Il nous battait, ma mère, ma sœur et moi. Tout le monde y passait. Il nous frappait souvent à des endroits qui ne se voyaient pas, surtout pour les filles. C'était plus sûr, même si à cette époque-là, c'était des précautions inutiles. Personne n'aurait osé aider ou parler de ce genre de choses. On ne se mêlait pas de la vie des autres, ce qui se passait dans les maisons restait dans les maisons. Chacun voit midi à sa porte comme on dit. 

 

Quand vers seize ans, j'ai eu la force de nous défendre, je n'ai pas hésité à défier mon père. Il était hors de question que je me laisse faire, ou que je continue à regarder cette ordure frapper ma mère et ma sœur comme si de rien n'était. Il y en a eu une paire des bagarres à la maison. J'attrape la dernière photo, je sais très bien ce qu'elle représente avant même d'y jeter un regard. Lorsque mes yeux se posent sur le papier, je me sens bouillir de rage. Je dois avoir vingt-deux, vingt-trois ans sur ce cliché et je monte ma jument, Myrtille. Je porte un fin pantalon de couleur foncé -noir d'après mes souvenirs- et une chemise blanche ample de l'époque. Je fixe la deuxième personne présente sur l'image. Il est lui aussi assis sur sa jument, Mirabelle, habillé de la même façon que moi. Il sourit, le regard vers l'objectif. Ce traître, qui m'a tout pris par pur égoïsme. Jamais je ne lui pardonnerais, jamais. De nombreuses émotions se bousculent : colère, tristesse, nostalgie, trahison et déception. Je pense souvent à lui, mais le voir comme ça tout sourire sur une photo m'enrage. Celui qui fût mon meilleur ami : Gabriel.

 

Un bruit me sort de mes pensées. On vient de toquer. Je sursaute et panique à l'idée qu'on entre dans la pièce maintenant. Personne ne doit voir ses photos, encore moins Amé. Je tourne la tête vers la porte, je vois et entends la poignée tourner. Les battements de mon cœur s’accélèrent, ma poitrine se soulève au rythme de ma respiration irrégulière. Alors que je m'attends à être surpris avec ses photos insolites, la porte reste close. Mais oui, quel benêt ! Je l'ai fermé à clef. Je respire un bon coup, soulagé.

 

 — Dra ? interroge la voix avec hésitation.

 

— J'arrive !

 

Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé pendant que j'étais plongé dans mon passé. Je me dépêche de ranger tout mon bazar dans sa cachette, les photos et les papiers. Je le fais vite, mais bien. Hors de question d’abîmer mes précieux souvenirs. Je m'active à faire disparaître toutes ses preuves de mon ancienne existence et me lève pour aller ouvrir. Amé apparaît sur le pas de la porte. Elle s'est changée. Elle porte un leggings de sport noir, qui moule à perfection ses formes et un t-shirt rose pâle. Mon regard est attiré par son cou, qui m'a l'air très appétissant. J'entends le sang pulser à l’intérieur de ses veines, je ne l'ai encore jamais goûté, mais j'en meurs d'envie. Je suis sûr qu'il a un petit goût sucré. Je salive, j'en ai l'eau à la bouche rien qu' d'y penser. Je déglutis difficilement. Amé me parle, je l'entends, mais mes oreilles sont focalisées sur autre chose. Mes yeux fixent son cou blanc, le bruit de son sang coulant dans ses veines résonne dans ma tête. Je sens mes crocs sortir lentement de mes gencives pour recouvrir mes canines humaines. La bouche fermée, je déglutis. Bon sang, je n'en peux plus ! Tout se passe si vite, je ne contrôle plus rien, pas même mon propre corps. D'un mouvement vif, je plonge sur elle et plante mes crocs dans son cou.

 

 

Ils transpercent sa peau avec aisance, tels des lames acérées. Amé ne bouge pas, elle reste immobile, tétanisée. Elle doit être en état de choc. J'aimerais la rassurer, mais à l'heure actuelle, je ne pense qu'à une seule et unique chose : boire son sang. J'aspire ce liquide chaud dans l'espoir d'étancher ma soif. Comme je l'imaginais, il a ce petit goût sucré qui régalent mes papilles. Je n'ai jamais rien bu d'aussi délicieux. Je savoure mon repas digne d'un restaurant gastronomique, aspirant énergiquement et sans la moindre retenue le sang de ma proie. J'aimerais m'arrêter, mais je n'y arrive pas. Impossible. Je suis comme hypnotisé, envoûté. Je vous supplie, que quelqu'un m'arrête. Qu'on arrache Amé de mes griffes ou plutôt de mes canines. Sauvez-la de moi.

 

Je ne veux pas lui faire de mal et encore moins la tuer dans un acte de folie tel que celui-là. Elle est mon soleil. Je l'aime tellement et pourtant, je ne peux m'arrêter. Je suis écœuré de moi-même et pourtant, paradoxalement, j'éprouve une grande satisfaction lorsque je sens son sang exquis couler le long de ma gorge. Je vais me détester jusqu'à la fin de mes misérables jours et Anne aussi. Ah, Anne. Si seulement elle était là pour me fracasser la tête avec une poêle ou une pelle. Aidez-là. S'il y a un Dieu dans ce monde et qu'il ne m'a pas tout à fait abandonné, qu'il se manifeste pour me foudroyer sur place et sauver Amé.

 

—  Dra ? 

 

Sa voix me ramène instantanément à la réalité. Amé est debout, face à moi et me dévisage inquiète. J'ai le souffle coupé, je suis en apné età deux doigts de la crise d'apoplexie. Je regarde son cou, et je vois avec soulagement qu'il est intact. Pas de trace de morsure. Je m'autorise enfin à respirer à nouveau. Bon sang ! C'était une hallucination, un rêve ! Une part de moi est rassurée, tandis qu'une autre ressent une grande déception. Je suis soulagé, je ne sais pas ce qu'il se serait passé ensuite, si j'avais réellement planté mes crocs dans sa chair. Aurais-je finalement réussi à m'arrêter ? Ou aurai-je tué Amé en la vidant de son sang. Ses grands yeux vert émeraude me fixent avec une telle intensité que j'ai l'impression qu'elle voit à travers mon âme. Je suis chamboulé et troublé. Je soutiens son regard tant bien que mal, je me sens honteux.

 

— Tu vas bien ? demande-telle.

 

— Oui, juste un petit fatigué, mens-je. Que voulais-tu ? 

  

— C'est à ton tour de cuisiner, annonce-t-elle avec un petit sourire.

 

Super... Je n'aime déjà pas préparer à manger, mais à ce moment précis, j'ai encore moins la tête à jouer au cuistot. J'aurais dû engager un chef étoilé ou un traiteur pour me préparer de bons petits plats. Il n'est peut-être pas trop tard pour remédier à cet oubli ? 

 

— N'y pense même pas, menace Amé. 

 

Je lui adresse un regard incrédule. Elle lit dans mes pensées maintenant ? Il manquerait plus que ça, ça serait vraiment l'horreur. Si elle savait les vilaines pensées qui traversent mon esprit de vieux vampire aigri, elle prendrait ses jambes à son cou. 

 

— Tu pensais à embaucher un cuistot, précise-t-elle en devançant ma question. Punition divine du feignant !

 

Elle joint le geste à la parole en me donnant une petite tape sur l'épaule. Je fais mine d'avoir eu mal en me tenant le bras en grimaçant. Elle esquisse un petit sourire. J'aime la voir heureuse, et je ferais tout pour ne pas lui faire de mal. Du moins, je l'espère sincèrement. Je sors de mon bureau pour emprunter les escaliers. Je descends les marches, Amé sur mes pas, tel un petit chiot. J'entre dans la cuisine et pousse un long soupir avant d'enfiler l'horrible tablier que mon adorable chipie m'a offert lors d'un anniversaire. Il représente le corps d'une femme avec une poitrine plus que généreuse, en maillot de bain presque inexistant.

 

Amé s'installe au bar de la cuisine pour me regarder faire la cuisine, le sourire aux lèvres. Elle branche ses écouteurs sur son téléphone et enfile les oreillettes. Après quelques secondes de réflexion, je décide de faire très simple ce soir, une salade composée. Je commence à découper minutieusement les légumes en écoutant par la même occasion la jolie voix d'Amé. Depuis toute petite, elle adore chanter. Enfant, elle avait l'habitude de nous faire des spectacles dans le salon, nous l'écoutions depuis le canapé. Sa voix a toujours eu le don de m'apaiser, de me faire oublier ce que je suis pendant quelques minutes. Dès qu'elle peut, ou qu'elle en ressent l'envie et le besoin, elle chante. Je pense que c'est une sorte d'échappatoire, de défouloir pour elle.

 

Je finis de dresser la troisième et dernière assiette. Anne nous a rejoints dans la cuisine pour profiter de la douce voix de notre chanteuse. Elle est assise sur le tabouret à côté de sa fille de cœur, les yeux fermés pour profiter pleinement de cette envoûtante mélodie. Amé, le regard perdu dans le vide, chante la jolie et très connue chanson "Et un jour une femme" de Florent Pagny. Lorsqu'elle achève le morceau, Anne l'applaudit, la faisant sortir de sa transe. Amé la remercie en la prenant par les épaules pour lui déposer un baiser sur la joue. Ces deux-là s'aiment comme mère et fille, elles partagent une relation fusionnelle. J'aime l'amour qui les unis, ça réchauffe mon vieux cœur de pierre. Le jour où notre très chère Anne nous quittera, Amé aura le cœur en miettes. Moi-même, j'appréhende énormément ce jour fatidique. Elle est la seule personne humaine qui soit au courant de ma condition. Elle a été une présence maternelle pour moi, une amie, mais elle est aussi la personne qui me procure le sang qui m'est vital. Je ne sais vraiment pas comment je vais me débrouiller quand elle ne sera plus là. Il n'y aura plus qu'Amé et moi. Nous serons comme deux orphelins. 

 

Il est approximativement trois heures du matin et je suis confortablement assis dans mon fauteuil, en train de siroter ma poche de sang frais. Je me suis enfermé dans la cave pour me nourrir à l'abri des potentiels regards indiscrets. Le liquide froid coule dans ma gorge. Je pousse un soupir d'aise, ravi et soulagé d'enfin étancher cette soif insupportable. Après ce rêve idiot de tout à l'heure, ce repas me fait le plus grand bien. J'aspire avidement les dernières gouttes. Je me lèche la lèvre supérieure, satisfait de ce dîner d'exception. Je jette la poche vide dans la poubelle à côté de mon siège. Je ferme les yeux. Le dos bien calé au fond du dossier, je profite du silence, le ventre bien rempli. Le silence et mon havre de paix ne durent pas bien longtemps. Grâce à mon ouïe sur développée, j'entends un bruit. Si je ne me trompe pas, il provient du jardin. Je me redresse d'un bond et quitte la cave en prenant soin de bien la refermer derrière moi.

 

 

 

Je passe par la porte de derrière pour atteindre le jardin. Si c'est un voleur, il va passer un très mauvais quart d'heure, parole de Dracula. Je vais le faire sortir de ma propriété par la peau de fesses. Quel imbécile suicidaire ose profaner ma propriété ? Je vais lui faire passer l'envie d'entrer par effraction chez les honnêtes gens. Je me déplace à pas de loup avec aisance et discrétion. J’aperçois une silhouette assisse au bord de la fontaine. Non mais je rêve, il compte se baigner dans mon eau ? Dans mon jardin ? Il ne manque pas de toupet ! Je ne saurais pas dire, s'il est courageux ou alors, complètement stupide. Je m'approche doucement, je distingue un peu mieux la silhouette petite et menue. Super, sûrement un idiot d'adolescent en pleine puberté qui a fuit le domicile familial. Il m'a pris pour un refuge ? 

 

J'avance sans bruit, jusqu'à être à trois-quatre mètres de l'inconnu. Puis, je m'élance en courant avant de bondir sur l’intrus pour le plaquer au sol. La personne pousse un petit cri aigu dépourvu de toute virilité. Ce gosse à soit une voix de gonzesse, soit il a oublié de muer. J'attrape ses poignets et les maintiens de chaque côté de sa tête. La pleine lune, qui jusqu'à maintenant était cachée derrière les nuages, éclaire le paysage. J’aperçois le visage de la personne coincée sous mon corps et mon cœur accélère dangereusement en découvrant l'identité du promeneur nocturne. Ses magnifiques yeux émeraude me fixent incrédules, se demandant ce qu'il se passe et pourquoi je viens de la plaquer au sol tel un rugbyman. Ses longs cheveux châtain foncé sont éparpillés autour de sa tête. Sa bouche est légèrement entrouverte. Mon regard ne quitte plus ses lèvres si appétissantes. J'aimerais y déposer les miennes afin de lui voler un doux baiser. Je sens sa poitrine se soulever contre mon torse au rythme des battements de son cœur. Sa respiration est rapide, surement le contre-coup de l'émotion. Mes yeux remontent sur son visage pour rencontrer les siens, qui me fixent avec une telle intensité qu'elle me déstabilise. Je détourne le regard pour me concentrer à nouveau sur ses lèvres charnues. Je les vois bouger lentement.

 

 — Dra ? chuchote Amé d'une voix hésitante.

 

Entendre mon prénom de sa bouche me rend ma lucidité et m'empêche de commettre l'irréparable. Je secoue la tête et me relève aussi rapidement que possible. Je lui tends la main, qu'elle accepte pour l'aider à se relever. Un faible sourire se dessine sur ses lèvres. Une fois debout sur ses deux jambes, je vois avec stupéfaction la tenue qu'elle porte. Bon sang ! Elle a ressorti sa chemise de nuit du crime de ce matin. Je pousse un soupir intérieurement et la maudit, elle et son bout de tissu bleu marine. Je détourne le regard, elle n'a pas l'air gênée par son accoutrement. Quelque chose semble la turlupiner, qu'elle en oublie sa tenue légère. Elle enjambe le contour en marbre de la fontaine et s'assoit, les pieds pataugeant dans l'eau. Elle fixe un point imaginaire devant elle. La pleine lune nous éclaire légèrement, juste ce qu'il faut pour nous permettre de voir. J'avance de quelques pas, mais reste debout derrière elle, je ne peux pas toucher l'eau comme le fait Amé.

 

 — Tu ne t'assois pas à côté de moi ? me demande-t-elle.

 

Je ne réponds pas et je reste immobile. Elle se lève, les pieds toujours dans l'eau. Amé n'est pas très grande avec son mètre soixante-cinq, mais la structure de la fontaine la grandit. Ses yeux sont dans le même axe que les miens, ils me dévisagent. J’aperçois une drôle de lueur dans son regard, mais je ne saurais dire de quoi il s'agit. L'eau lui arrive jusqu’aux genoux. Je suis attiré par la vision de ses longues jambes fines, nues. Je déglutis. Est-ce que mon esprit pervers pourrait prendre quelques jours de vacances ? Je suis à deux doigts de l'attirer contre moi pour l'embrasser et de la soulever pour l'emmener avec moi dans ma chambre avant de la jeter sur mon lit. Je pourrais enfin lui faire toutes les choses que je meurs d'envie depuis de longs mois. Je chasse ses pensées salaces et je me reconcentre sur Amé. Celle-ci esquisse un faible sourire.

 

 — Ah oui, c'est vrai. J'avais oublié. Tu ne peux pas toucher l'eau, murmure-t-elle.

 

Sa voix est à peine audible lorsqu'elle prononce la dernière phrase, je me demande même si je ne l'ai pas rêvée. Mais grâce à mon ouïe sur-développée, je sais qu'elle l'a belle et bien dite. Je suis stupéfait et choqué. Elle l'a remarqué ? Qu'a-t-elle vu d'autre ? Ai-je montré d'autres faiblesses devant elle ? A-t-elle deviné ma nature de vampire ? Tant de questions se bousculent dans ma tête.

 

— Je ne sais pas ce que tu es Dra..., dit-elle en tendant la main devant elle. 

 

Elle laisse sa phrase en suspens. Elle effleure ma joue du bout des doigts. J'arrête de respirer, son contact me coupe le souffle et m’électrise. Amé a un pouvoir incroyable sur moi, le moindre de ses faits et gestes me fascinent, me troublent et le pire, c'est qu'elle ne se doute absolument pas de son emprise. Lorsqu'elle éloigne sa main pour la laisser retomber le long de son corps, je retrouve enfin comment respirer. Mes poumons se remplissent d'air. Elle n'a pas l'air de savoir ce que je suis, c'est un grand soulagement. Je ne voudrais surtout pas à ce qu'elle en vienne à me détester. Elle est bien trop importante pour moi, j'ai besoin d'elle dans ma vie. Néanmoins, je vais devoir être encore plus vigilant à l'avenir, afin qu'elle ne découvre pas d'autres de mes faiblesses qui la mène jusqu'à mon secret. J'entends des petits bruits d'eau, qui me sortent de mes pensées. Je baisse la tête et vois Amé, allongée dedans la fontaine. Elle flotte à la surface, ses yeux verts émeraude scrutant le ciel étoilé. Ses cheveux ondulent autour de son visage de poupée. Elle est tellement belle. Je ne peux détourner le regard, je suis fasciné par la scène.

 

—  Amé, sors de là s'il te plaît. Tu vas attraper froid, soupiré-je.

 

— Tu penses que mes parents sont morts ? Qu'ils sont là-haut dans le ciel ? Qu'ils me regardent et qu'ils sont fiers de moi ? m'interroge-t-elle.

 

Je ne sais pas quoi répondre. J'ai envie de lui dire la vérité, mais je n'arrive pas. Comment pourrais-je lui avouer que j'ai retrouvé ses parents il y a bien longtemps déjà et ils sont toujours vivants. Ils n'ont visiblement jamais cherché à retrouver leur fille. Ils l'ont simplement et lâchement abandonnée, comme si elle n'était rien. Ça lui briserait le cœur et ce soir elle a l'air tellement fragile. J'ai peur qu'elle perde pied, si j'anéantis ses espoirs. Je sais que ses parents biologiques sont une corde sensible depuis sa plus tendre enfance, mais vaut mieux qu'ils soient morts pour elle. Alors, je fais la chose que je fais malheureusement le mieux, je mens.

 

— Je ne sais pas, Amé, peut-être. Mais je suis sûr que s'ils te connaissaient, ils seraient très fiers de leur fille.

 

En tout cas, moi, je le suis. J’aperçois un faible sourire se dessiner sur ses lèvres et le poids de la culpabilité s'envole. Elle se redresse pour se relever. Elle se tient debout devant moi, ses yeux me fixent et je crois y lire du désir. Je dois être devenu fou, car c'est impossible qu'elle me voit comme un homme. L'eau dégouline le long de son corps et de ses cheveux. Sa chemise de nuit trempée lui colle à la peau, épousant les formes de sa silhouette élancée. Mes joues s'empourprent légèrement. Mais étant dos à la pleine lune, mon visage reste caché par l'obscurité et Dieu merci, Amé ne peut distinguer mon trouble. Dire qu'il y a encore cinq ans, j'avais affaire à une adolescente. Aujourd'hui, c'est bel et bien une femme qui se tient devant moi, dans une tenue trop sexy pour mes yeux de vieux vampire. Je déglutis avant de prendre la parole. 

 

— Il se fait tard. Rentre tout de suite, ordonné-je. 

 

Elle enjambe le bord de la fontaine et s'enfuit en direction de la porte arrière du château. Je pousse un long soupir avant d'observer la pleine lune quelques secondes et d'apprécier le calme qu'offre la nuit. Je détourne les talons et rentre à mon tour à l'intérieur de ma demeure. Je m'enferme dans ma chambre et prends place devant mon bureau. J'attrape mon journal et l'ouvre délicatement. Je saisis ma plume et la trempe dans l'encrier avant de faire glisser la pointe sur le papier.

 

" 24 Novembre 20XX

 

Cher journal,

 

Aujourd'hui a été une journée mouvementée. Amé a utilisé mon ancien prénom : Alucard. Quel choc ! On ne l'avait pas prononcé depuis plusieurs décennies. J'espère ne plus l'entendre sortir de sa bouche avant très longtemps car je ne peux pas avouer mon histoire et mon passé, je ne suis pas prêt. Le serais-je un jour ? J'en doute. J'ai peur qu'en apprenant la vérité, elle coupe contact et s'enfuit loin de moi. Ça serait la pire chose que je puisse imaginer, mais un scénario plus que possible. Qui voudrait rester habiter avec un monstre ? Pas une femme saine d'esprit en tout cas.

 

Autre péripétie du jour ou plutôt de la nuit, j'ai trouvé Amé errant dans le jardin telle une âme en peine. Je ne sais pas trop ce qu'elle y faisait. Sans doute était-elle sortie pour réfléchir ou souffrait-elle de mélancolie. J'ai toujours du mal à y croire, mais elle a fait allusion à mon problème avec l'eau. "Tu ne peux toucher l'eau" voilà sa phrase exacte. J'ai cru faire un arrêt cardiaque. Oh, mais quel dommage, je ne peux pas mourir car je suis immortel ! Enfin, ça ne change pas que je ne l'ai pas vu venir, je ne m'en remets toujours pas. Elle a mis le doigt sur l'une de mes faiblesses. Je vais devoir être beaucoup plus vigilant à l'avenir, si je ne veux pas qu'Amé me perce à jour.

 

Car il est hors de question qu'elle sache ce que je suis.

 

Jamais."

 

 

 

 

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Commentaires: 3
  • #1

    Bubulle (dimanche, 24 juin 2018 19:05)

    Merci du fond du coeur^^
    J’ai regardé avec impatience tes sorties (non. Je ne suis pas une groupie ) et tu viens de me réchauffer le cœur!
    Ton style et ton histoire sont fabuleux �
    Bref chapeau!

  • #2

    Hanna (dimanche, 24 juin 2018 21:30)

    Oh merci à toi pour ton message qui m'a beaucoup touché ! <3
    Contente que ce que j'écris te plaise, j'espère que la suite te plairas également ! :D

    Bisous

    A bientot :)

  • #3

    Ayumi (mercredi, 22 août 2018 23:03)

    J'ai beaucoup apprécier ce chapitre ma belle ^^
    Tu as donner une certaine vulnérabilité à Dra qui lui va, je trouve, plutôt bien.
    Hate de lire le prochain pour être enfin à jour ahahah
    Bisous ma douce ♥