Dracula Chapitre IX

 

 

Je n'arrive pas à les contenir, ni à les arrêter. Les larmes coulent le long de mes joues. Je suis profondément touchée par sa lettre. Lorsque je l'ai vue dans l'enveloppe, je n'imaginais pas une seule seconde son contenu. J'ai toujours pensé qu'Anne était l'unique raison de ma présence ici et que Dra m'avait recueillie pour elle, mais à l'évidence, je me trompais. Depuis notre rencontre, je suis spéciale à ses yeux. À cette pensée, je ressens une pointe de chaleur dans mon cœur. Soudain, l'image d'Anne m’apparaît. Je me sens vraiment désolée pour elle. Je n'ai jamais songé à ce qu'elle pouvait ressentir, pas même une seule seconde. J'ai passé une merveilleuse enfance et adolescence, ils étaient ma famille et elle était ma mère. Pour moi, c'était de l'acquis. Je me voyais passer ma vie auprès d'eux, mais Anne, elle, vivait avec la peur de me perdre. Elle a vécu tant d'années à mes côtés, à m'aimer comme sa fille, alors qu'on pouvait m'arracher à elle à tout instant. J'aurais laissé un vide énorme dans son cœur et un chagrin incommensurable. Aujourd'hui, je suis heureuse que mes parents ne soient pas réapparus dans ma vie. J'ai aimé vivre avec Anne et Dra, je n'aurais pas voulu partir de ce château. 

 

Je suis étonnée par la deuxième partie de sa lettre, je ne pensais pas savoir un jour l'identité de mes parents. Et encore moins de la part de Dra. Je me suis toujours demandée qui ils étaient, comment ils s'appelaient. Maintenant, j'ai leur nom sur ce papier ainsi que leur adresse. Ils habitent dans un village voisin, à dix minutes d'ici. C'est à peine croyable. Ils m'ont abandonnée et ont continué à vivre comme si de rien n'était, à proximité du château, à côté de leur propre fille. Ont-ils eu une seule pensée pour moi pendant ses vingt dernières années ? Honnêtement, je ne pense pas. Blanchard... Cela aurait dû être mon nom. Quel prénom m'avaient-ils donnée ? Ou peut-être n'en avaient-ils pas, peut-être ne s'étaient-ils pas donné la peine de m'en choisir un.

 

Je suis perdue. Je ne sais pas quoi penser, ni quoi faire. Une partie de sa lettre m’intrigue : de quelle vérité parle-t-il ? Son existence ? Je ne comprends pas, à qui fait-il référence ? Est-ce une énigme ou un langage codé que je suis censée comprendre ? En tout cas, pour le moment, mon cerveau sèche. J'ai la tête lourde. J'ai du mal à digérer ces informations que j'attends pourtant depuis si longtemps. Dois-je aller les voir ? Faire leur rencontre ? Comment Anne réagirait si je décidais de faire leur connaissance ? 

 

Je me rends compte qu'en comparaison au sien, mon cadeau est vraiment nul. Des caleçons et chaussettes. J'ai presque honte, j'aurai pu trouver mieux. Je dois lui en offrir un autre et j'ai une petite idée derrière la tête. Un sourire se dessine sur mon visage. Je me dirige vers ma coiffeuse avant de m'y installer. J'observe mon reflet dans le miroir. Je défais ma tresse et je laisse mes cheveux détachés. Ils sont légèrement ondulés à cause de la natte que j'ai portée pendant la soirée. Je les arrange rapidement, en passant mes doigts en guise de peigne. Puis je quitte ma chambre pour rejoindre la sienne.

 

Une fois devant la porte, je toque timidement contre le bois froid. La porte s'ouvre doucement laissant apparaître Dra,  une bouteille de jus de tomate à la main. Mon regard se pose sur sa chemise entre-ouverte. Il a débouté les premiers boutons. Je suis déçue, il aurait carrément pu l'enlever ! 

 

—Tu bois ta boisson de vieux avant d'aller dormir ? taquiné-je.

 

Pour toute réponse, il boit une gorgée devant moi. Puis ses yeux se posent sur moi et m'interrogent du regard : qu'est-ce que tu fais ici Amé ? Il ne pensait quand même pas que j'allais lire sa lettre et me coucher directement. Après toutes ses révélations, mon cerveau et en ébullition, je ne risque pas m'endormir tout de suite. Le réveil pour l'école de demain matin va être très difficile, mais peu importe.

 

— Je voulais te remercier pour ton cadeau, ça m'a beaucoup touché. Je ne sais pas encore ce que je vais faire pour mes...

 

Je laisse ma phrase en suspend. Le mot ne sort pas de ma bouche alors Dra le prononce à ma place.

 

— Parents, soufle-t-il.

 

— Oui. Beaucoup de questions se bousculent dans la tête et j'appréhende leurs réponses. Mais si je ne les rencontre pas, j'ai peur de rester coincée dans le passé.

 

— Je serais là pour toi Amé, me rassure-t-il. Toujours.

 

— Merci. Qu'entendu par "son existence" dans ta lettre. De qui parles-tu ? 

 

— Je ne peux pas te le dire, tu le découvriras au moment venu, répond-il.

 

Je pousse un soupir, déçue. J'aurais aimé qu'il m'explique un peu plus cette partie de la lettre, au lieu de rester mystérieux. Puis je me rappelle la deuxième raison de ma présence ici. 

 

— Je voulais te donner un petit cadeau, souris-je. 

 

— Tu m'a déjà offert de magnifiques chaussettes Père-Noël et caleçons lutins.

 

Je grimace.

 

— Arrête j'ai honte ! Je suis sûre que sur internet ces objets sont dans la rubrique "Idée cadeaux grand-père"...

 

— Tu veux me faire passer un message en me traitant de vieux ? ronchonne Dra.

 

Après tout, il a sa place dans cette rubrique. Monsieur boit du jus de tomate, se lave avec des lingettes pour bébé et garde un costume datant d'avant la guerre. Mais bref, laissons ça de côté, je n'ai pas envie de me chamailler ce soir. 

 

— Non, tu es encore très jeune. Et j'ai un autre cadeau pour toi, souris-je.

 

Il me regarde surpris, je vois son regard passer de ma main droite à ma main gauche, à la recherche d'un éventuel présent. Sauf qu'il ne trouvera rien, ce n'est pas un objet. Je m'approche et attrape le col de sa chemise. Dra m'observe attentivement, guettant le moindre de mes faits et gestes. Il est a l'affût tel un animal. Son regard accroche le mien et ne le quitte plus. Il y a une tension palpable entre nous.

 

— Joyeux Noël Dra.

 

Sur la pointe des pieds afin de me grandir, je dépose mes lèvres contre les siennes. Les yeux fermés, je savoure ce doux contact. Sa réaction est immédiate. Il répond à mon baiser et passe ses bras autour de ma taille, lâchant par la même occasion sa bouteille. Le verre se brise sur le sol et le liquide se répand sur le parquet. Si notre étreinte était douce au début, elle devient plus sauvage. Il ressert sa prise pour m'attirer vers lui. Nos corps sont proches, mais ne se touchent pas. Seuls nos vêtement s'effleurent par moment. Nos bouches se quittent quelques secondes avant de se retrouver. Dra recule lentement en m’entraînant doucement avec lui, avant de refermer la porte derrière nous. Il me plaque contre le bois froid et rompt le contact pendant un court instant. Son regard de braise rencontre le mien, j'y lis un profond désir mais aussi de l'amour. Il doit percevoir la même chose dans mes yeux.

 

Je me mords la lèvre inférieure d'excitation. Ma respiration devient haletante et les battements de mon cœur s'accélèrent. Cela ne va pas s'arranger, Dra écrase sa bouche contre la mienne. Son baiser est fiévreux, fougueux. J'ai l'impression qu'il m'embrasse comme si c'était la dernière fois, comme si demain n'existait pas et que le monde allait s'arrêter. Comme si nous vivions nos derniers instants sur cette planète. Je savoure ce moment privilégié. Dans ces bras, à son contact, je me sens vivante. Je me sens femme. C'est si intense, ce quelle ressens et indescriptible. J'agrippe fermentant à son col de chemise pour ne pas perdre l'équilibre. Comme s'il avait lu dans mes pensées, il presse son corps contre le mien pour me maintenir entre le bois froid et lui. Au contact des nos peaux, il s'écarte brusquement, comme s'il avait reçu une décharge électrique. Je le regarde surprise, tout en reprenant mon souffle. Lui aussi est haletant, son torse se soulève à un rythme rapide.  

 

 —Il faut que tu partes Amé, m'averti Dra.

 

— Je n'en ai pas envie, contré-je.

 

Sur ces mots, je me rapproche lentement de lui, mais il recule de quelques pas. Je l’interroge du regard. C'est quoi le problème ? Jusqu'à il y a peu, nous étions sur notre petit nuage et maintenant, il me repousse comme la peste. Je suis blessée par son comportement.

 

— Ce n'est pas ce que tu crois, soupire-t-il comme s'il venait de lire dans mes pensées. Je suis un homme Amé... 

 

— Euh oui, je sais, souris-je.

 

Il pensait quoi ? Que je pensais qu'il était un animal de compagnie ? Je sais bien qu'il est un homme. Je ne saisis pas le sens de sa phrase jusqu'à ce qu'il soit plus explicite.

 

— Non, tu ne comprends pas. Laisse-moi t'expliquer de façon plus imagée. Tu es le petit chaperon rouge et moi le vilain méchant loup. Et à l'heure actuelle, j'ai très envie de te manger toute crue, avoue Dra. 

 

Oh... Mes joues s’empourprent instantanément. La honte, je n'avais pas compris le sous-entendu. 

 

— Alors tu vas gentiment sortir de ma chambre, maintenant, sourit-il en me poussant vers la porte. 

 

— Mais Dra...

 

Trop tard, je n'ai pas le temps de protester que je suis mise dehors comme une malpropre. Je me retrouve devant le panneau de bois, seule. Je souris, c'est qu'il serait gentleman. Même si ce fût trop court à mon goût, j'ai apprécié cette soirée de Noël et encore plus les dernières minutes. Je retourne vers ma chambre avec des images de nos baisers plein la tête. Je vais vraiment avoir du mal à dormir ce soir. Entre la lettre et mon étreinte avec Dra, mon cerveau va rester éveillé un moment. Je me déshabille et me glisse sous mes draps froids. Je ne sais pas comment va se passer le retour en cours après l'incident du bal, mais une chose est sûre, je n'ai pas hâte.

 

 

Nous sommes lundi matin, autrement dit, le jour de la semaine que j'aime le moins. J'arrive pour une fois, avec quelques minutes d'avance. Les bruits se taisent lorsque je pénètre dans la salle de classe et les regards sont braqués sur moi. Vous gênez pas pour moi, continuer vos discussions. J'ai l'impression d'être un animal de foire, j'entends leurs chuchotements et j'arrive à comprendre certaines phrases. "C'est elle qui a découvert le corps" "Si ça se trouve, c'est elle la coupable. Elle vit dans un château bizarre après tout" "C'est peut-être la prochaine victime" "Vous pensez qu'elle a pleuré tout le week end" ou encore "Il parait qu'elle a offert son corps aux policiers pour qu'ils l'a relâchent et la laisse tranquille". Je lève les yeux au ciel, qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre. Il y a vraiment des crétins sur cette terre ! Pourquoi l'être humain critique ainsi ces confrères ? Et puis, qu'est-ce que ça peut leur faire ?! Ce sont mes histoires, pas les leurs. J'ai envie de crier "Fermez-là et mêlez vous de vos fesses", mais je m'abstiens. Je ne veux pas attirer encore plus l'attention sur moi, j'ai déjà l'impression d'avoir un gyrophare sur la tête. La tête haute, je me dirige vers ma place et m'assois comme si de rien n'était. Julie me fait la bise et me demande comment je vais.

 

— Je vais bien, la rassuré-je.

 

— Quelle histoire, dit-elle.

 

A qui le dis-tu ! 

 

— Mon père était furax après ses hommes quand il a su qu'ils t'avaient interrogé juste après le meurtre. C'est vrai quoi, ils n'ont donc aucun cœur ? Interpellé une étudiante comme une criminelle après qu'elle est découvert un corps en sang. Comme si ça ne pouvait pas attendre le lendemain. Je te dis raconte pas le savon qu'ils ont reçu.  

 

Ah oui, c'est vrai. J'avais complètement oublié que le paternel de Julie est commandant de police. Comment ai-je pu ne pas me souvenir d'une information aussi importante. Amé tête de linotte ! Grâce à lui je vais pouvoir en savoir plus et avoir quelques précisions sur le meurtre.

 

— Qu'est-ce que t'as dit ton père sur l'affaire ? demandé-je.

 

— Pour le moment pas grand chose, l'autopsie à lieu cette après-midi. La fille s'appelait Lisa LAMADE et elle était en troisième année dans le département de Droit, comme Jessica. Ils ont interrogés son petit-ami qui était présent au bal, le pauvre était complètement sous le choc. Ils sortaient ensemble depuis quatre ans. Il va avoir du mal à s'en remettre. Imagine, ton copain est assassiné à une fête de son école ? Et la vieille du Réveillon en plus, l'horreur ! Bonjour le traumatisme. 

 

Je pleins sincèrement son petit-ami. Si Dra avait été assassiné, je ne sais pas comment j'aurai réagit. Mon cœur aurait été brisée, anéanti. Même avec l'aide et la présence d'Anne je ne m'en serais pas remise. Je suis persuadé qu'on ne se remet pas de la perte de son âme sœur. Mon cerveau refusant d'accepté la réalité, aurait sans doute péter les plombs. Comment avancer dans la vie, quand une partie de ton avenir disparaît en un instant ? Cette personne que tu voyais tous les jours, son sourire qui égayait tes journée, n'est plus qu'un souvenir. Les contacts physiques pourtant si anodin, comme une main sur l'épaule ou un baiser, deviennent impossible. La vie t'enlève injustement ces petits bonheurs de la vie.

 

— Il y avait des empruntes ou des cheveux sur la victime ? demandé-je finalement. Des preuves qu'aurait laissé le meurtrier involontairement ?

 

— Non, malheureusement ils n'ont rien trouvé. Pas d'emprunte, pas de cheveux ou de poil, pas d'ADN sous les ongles de la victime. Elle ne se sera pas débattu, il n'y a aucune trace de défense. Apparemment, d'après le premier examen réalisé sur place, elle n'a pas été violé. Heureusement, ça aurait fait un scandale et l'école se serait bien passé de ça. On en saura plus après l'autopsie concernant les causes et l'heure de la mort. Je t'appelle ce soir si tu veux, me propose gentiment Julie.

 

— Avec plaisir, souris-je.

 

Elle me fixe quelques instants avant de reprendre la parole.

 

— Tu es sûre que ça va toi ? Ça a dû être traumatisant...

 

— Ça va, je suis encore vivante moi. J'ai cette chance, souris-je.

 

C'est à ce moment qu'entre notre professeur. Certains filles s'agitent sur les chaises, visiblement ravies du nouvel arrivant. Enzo se tient derrière son bureau, une mine triste. Il commence un discours sur la mort tragique de Lisa, tout le monde l'écoute attentivement. Nous apprenons que son enterrement aura lieu dans deux jours, et qu'en son honneur l'école sera fermée mercredi. A cette nouvelle, certains éclatent de joies, ravis de ne pas avoir cours. Je trouve leur comportement un peu déplacé. Il y a eu un meurtre, il n'y a pas de quoi se réjouir !

 

— Qu'elle repose en paix. Faisons une minute de silence pour lui rendre hommage, termine-t-il.

 

 

Il est passé seize heure lorsque je me gare dans l'allée. La journée a été longue, le nom de "Lisa" est dans toute les bouches. On parle du meurtre dans tous les couloirs et salles de classe. Ça me rappelle la fameuse soirée et les images me reviennent en tête. J'avais hâte de rentrer au château pour prendre un bon bain chaud relaxant. Je me dirige vers la cuisine à la recherche d'une boisson pour étancher ma soif. J'ouvre le frigo et jette un œil à son contenu, quand mon regard s'arrête sur une boisson en particulier. Le précieux jus de tomate de Dra.

 

Il a l'air de tellement aimer ça, que j'ai envie de lui faire une blague. J'ai vais lui siroter une bouteille tiens ! J'en attrape une et la décapsule. J'ai la flemme de m'en servir un verre pour le nettoyer après, alors je pose ma bouche sur le culot. Je bois une gorgée que je recrache immédiatement dans l'évier. Nom d'un petit bonhomme, c'est infect ! Comment peut-il aimer ce truc ?! Quelque chose me chiffonne, ce goût métallique m'est familier. Je mets quelques instant avant de trouver. Mon cerveau au du mal à faire le lien ou plutôt il refuse. Mais au bout d'un moment la réponse lui apparaît clairement. On dirait du sang...

 

— Amé ?

 

 

Je me retourne et découvre Anne sur le pas de la cuisine. Son regard se pose sur la bouteille que j'ai entre les mains et sur ma bouche. Je passe rapidement le dos de ma main sur mes lèvres pour essuyer le liquide qui a coulé lorsque j'ai recraché. Ses yeux s'écarquillent.

 

— Amé ! 

 

Elle se précipite vers moi et m'arrache brusquement la boisson. Elle semble paniquée et mal à l'aise. J'essaye d'accrocher son regard, mais elle évite de me regarder dans les yeux. Au contraire, elle fuit le contact visuel. Elle jette la bouteille en verre dans la poubelle verte prévu pour le recyclage. 

 

— C'est quoi ce truc ?! demandé-je en haussant légèrement la voix.

 

— Du jus de tomate, répond-elle comme si c'était logique.

 

Elle s'approche de l'évier et commence à nettoyer ce que j'ai recraché avec l'éponge. 

 

— Du jus de tomate ? J'en ai peut-être jamais bu, mais j'ai déjà mangé le fruit. Et ça n'a pas du tout ce goût métallique ! On dirait du sang, m'exclamé-je.

 

— Ne raconte pas n'importe quoi Amé ! s'énerve Anne. Qu'est-ce que ça ferait dans notre frigo ?

 

— Justement, je te pose la question. Qu'est-ce que ça fait ici ? Dra en boit ? interrogé-je.

 

— Amé, arrête avec cette histoire. Ce n'est pas du sang. Écoute, peut-être que dans le lot, il y avait une bouteille périmée. Ce qui expliquerait le goût bizarre.

 

Elle me prend pour une imbécile ou quoi ? Je suis furieuse. Je sais qu'elle me ment, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Ce n'est pas du jus de tomate avariée, ça, j'en suis sûre. Alors pourquoi ne me dit-elle pas la vérité ? Pourquoi me sort-elle un mensonge made in Dracula ? Je suis blessée et vexée. Elle ne me fait pas confiance ? Mon chagrin doit se voir sur mon visage, elle semble désemparée face à la situation. 

 

— Amé s'il te plaît, oublie cette bouteille, chuchote Anne en me touchant le bras. 

 

Je me dégage brusquement de son contact affectif. Comment veut-elle que je fasse comme si de rien n'était ? Que j'efface ce moment bizarre de ma mémoire ? Bordel, il y a du sang dans une bouteille, dans notre frigo ! Et je devrais ne rien dire ? Ne pas poser de question, sur le pourquoi du comment ? Je pars vexée de la cuisine, pour m'enfermer à clef dans ma chambre. Qu'elle et Dra aille au diable avec leur mensonge !

 

 

Julie me téléphone vers dix-huit heures. Je décroche à la première sonnerie, j'attendais son appel avec impatience. On s'échange rapidement quelques banalités avant d'entrer dans le vif du sujet.

 

— Tu connais les résultats de l'autopsie ? demandé-je curieuse.

 

— Oui et tu ne vas pas me croire. Mon père et ses hommes n'en reviennent toujours pas. Elle a été entièrement vidée de son sang. Hormis celui présent sur la scène de crime, c'est-à-dire seulement cinq pourcent de son hémoglobine totale, il n'y avait plus une seule goutte à l'intérieur de ses veines. Disparu ! 

 

Je suis sous le choc. Il y a quelques heures, j'ai trouvé une bouteille de soi-disant "jus de tomate", alors que je sais très bien que ce n'est pas ça. Et cette fille aurait justement été vidée de son sang. Drôle de coïncidence... Je suis sur les nerfs. Nom de Dieu, qu'est-ce que Dra fou avec de l'hémoglobine dans son frigo ! Il n'aurait quand même pas tué cette pauvre étudiante ? Je regrette instantanément ma pensée, bien sûr que non il ne l'a pas fait. Il en serait incapable, il ne ferait pas de mal à une mouche. 

 

— Amé, t'es toujours là ? s'inquiète Julie.

 

— Oui, oui, désolé. Je suis un peu sous le choc. Comment a t-elle été vidée de son sang ? demandé-je.

 

— Et bien, c'est ça qui est bizarre. Ils ne savent pas trop... Cette partie reste assez flou pour le moment. La victime présente deux petits trous dans sa nuque. La première hypothèse établie est que le meurtrier a prélevé le sang à l'aide de seringues, seulement, c'est presque impossible. Il aurait mis plusieurs heures à vider la jeune femme, ça ne colle pas avec l'heure de la mort. Des filles sont obligatoirement allées aux toilettes, tu sais comment on est, on y va par groupes de trois-quatre. Il n'a pas pu rester seul assez longtemps dans la pièce pour faire sa petite affaire, c'est impossible. Les policiers sont complètement largués. Mon père n'a jamais vu un cas comme celui-ci.

 

Des images me reviennent en tête, mais pas de la scène de crime. Non, cela date d'il y a quelques mois, lors de mes recherches sur internet. Je revois ces photos de vampire sur Google. Un homme avec deux grandes dents pointues, plantées dans le cou d'une jeune femme. Vidée de son sang, deux trous dans la nuque. Laissés par des canines ? Serais-ce l'oeuvre d'un vampire ? La façon dont la victime est morte coïncide. Mais ces créatures n'existent pas. Il n'y a jamais eu d'article prouvant leur existence. S'ils vivaient parmi nous, ils auraient déjà été démasqués non ? 

 

— Amé ? 

 

— Oui, oui, je suis là. Merci pour ces informations, c'est vraiment super de ta part. Je vais devoir te laisser, on se voit demain.

 

— Oui, pas de soucis. Bonne soirée Amé, bisous.

 

— Merci toi aussi, gros bisous.

 

Je raccroche. Je pose deux doigts contre ma tempe et me masse doucement la peau. Je sens le mal de crâne arrivé. Je suis en train de perdre la tête. C'est impossible, toutes les théories stupides qui me viennent à l'esprit relèvent du surnaturel. Les vampires n'existent pas. Ils ne peuvent pas exister et cohabiter parmi nous ! Tous les récents événements ont une explication logique, j'en suis sûre, même si je ne l'ai pas encore trouvé. 

 

Soudain, on toque à ma porte. Quelqu'un essaye de l'ouvrir, sans succès. Il n'a pas encore prononcé un mot, mais je sais de qui il s'agit. Je ne saurais l'expliquer, je le sens. 

 

— Amé, c'est moi. Ouvre-moi, s'il te plaît.

 

Je soupire et me lève pour tourner la clef dans la serrure. Dra pénètre dans la pièce. Il affiche un air grave et sombre. Le cœur est un organe vraiment bizarre, même énervée après lui, je ne peux m'empêcher de le trouver plus beau que jamais. 

 

— Anne m'a raconté l'épisode de cette fin d’après-midi, avec le jus de tomate.

 

—Ah oui, tu veux parler des fameuses bouteilles qui ne contiennent pas du sang ? ironisé-je.

 

— Je ne sais pas ce que tu t'es encore imaginé Amé. Elles sont remplies de jus de tomate, assure-t-il avec un aplomb déconcertant. 

 

La colère que j'ai éprouvée suite à la discussion avec Anne revient plus forte que jamais. Jusqu'à quand vont-ils me mentir droit dans les yeux et me prendre pour la reine des idiotes ?

 

— Tu vas pas t'y mettre toi aussi ? craché-je. Si c'est pour me sortir de gros mensonges comme tu sais si bien faire, ce n'est pas la peine. Sors de ma chambre tout de suite, ordonné-je. 

 

Je le dévisage méchamment, mais ça n'a pas l'air de l'atteindre. Il s'en fout.

 

— Amé, soupire-t-il.

 

— Sors de ma chambre, crié-je. A moins que tu comptes de tuer comme cette pauvre fille en me vidant de mon sang, craché-je.

 

— Quoi ?

 

Mes mots semblent le prendre au dépourvu. 

 

— C'est toi le coupable, c'est ça ? Tu as sucé le sang de cette étudiante jusqu'à la dernière goutte dans les toilettes ? Comment as-tu pu faire ça ? Tu es quoi Dra ? Tu es un vampire ?

 

La colère que j'éprouve actuellement me fait perdre la raison. Mes mots dépassent ma pensée. J'ai honte des mots qui sortent de ma bouche, mais je n'arrive pas à m'arrêter. Je ressens le besoin de lui dire ce que j'ai sur le cœur, même si cela nous blesse tous les deux. Au fond de moi, je pense sincèrement qu'il est incapable de ce dont je l'accuse, mais j'ai ce petit doute, cette petite voix qui me susurre le contraire. Je dois lui demander, je dois savoir, même si la vérité fait mal. Au fur et à mesure que je crache mes mots, son regard et son visage change. J'y lis de l’incompréhension puis une immense tristesse.

 

— Tu penses vraiment que j'ai pu commettre ce meurtre ? demande-t-il doucement.

 

— Oui, chuchoté-je.

 

NON ! 

 

Il me sourit tristement, blessé par mes mots. 

 

— Je t'ai promis de te dire la vérité dans la lettre de Noël, et je le ferais, mais pas tout de suite. Je vais te demander d'oublier cette histoire de jus de tomate et de patienter encore un peu. Sache juste une chose, je n'ai pas tué cette fille. 

 

Je reste muette, aucun son ne sort de ma bouche. Je le crois, je sais qu'il ne me ment pas et qu'il n'est pas le coupable. Je suis morte de honte, comment ai-je pu le soupçonner ? Comment ai-je pu avoir ne serait-ce qu'un pourcent de doute sur lui. Il sort en silence de ma chambre et me laisse seule avec mes remords. Amé, parfois, tu devrais apprendre à te taire... On ne t'a jamais dit de tourner ta langue sept fois dans ta bouche avant de parler ?

 

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