Dracula - Chapitre XI

- AME -

 

"Rien d'important".

 

Derrière ces mots, se cache un nouveau mensonge made in Dracula. Je le connais et je sais qu'il m'a menti, le bougre. Il n'y avait qu'à voir sa tête, il avait l'air contrarié et inquiet. Il a brusquement changé de comportement dans le salon de Monsieur et Madame Blanchard. Je ne sais pas ce qu'il a pu sentir ou voir, mais il n'avait qu'une envie : quitter la maison. Pourtant, je n'ai rien vu d'étrange... Je n'ai pas rechigné quand il m'a demandé de me lever pour partir. Je savais qu'il avait une bonne raison. S'il avait pu, il serait parti en courant, mais par politesse, il ne l'a pas fait. Après avoir salué nos hôtes, nous sommes sortis. Je l'ai questionné sur ce qu'il se passait une fois à l'extérieur et Dracula m'a répondu "Rien d'important". Bien, s'il ne voulait pas me dire ce qui le tracassait, je respecterais son choix à condition que je vienne avec lui. J'ai eu beau insister pour l'accompagner, il n'a pas voulu. Je déteste être mise à l'écart comme ça. Aujourd'hui plus qu'un autre jour, j'aurais aimé ne pas être seule. J'avais besoin qu'il soit encore présent à mes côtés. 

 

Je repense à la rencontre avec mes parents. Je ne sais pas quoi en penser. Je me suis imaginée une centaine de scénarios avant de venir, mais aucun n'étaient proche de la réalité. J'ai eu un sacré choc quand Iris a ouvert la porte. J'ai eu l'impression d'être face à un miroir, qui reflétait ma propre image. Une jumelle... Lorsque j'ai vu cette fille, j'ai compris. C'était d'elle que Dracula parlait dans sa lettre qu'il m'a offert à Noël. " Découvrir son existence t'aurait brisé, mais aujourd'hui, je pense que tu peux le surmonterLes mots "son existence" désignait Iris. Je ne l'avais pas vu venir... Il est vrai que si je l'avais su plus jeune, cette vérité aurait été destructrice pour moi. Comment une enfant ou une adolescente, pourrait accepter que ses géniteurs ai gardé sa jumelle et l'ai abandonnée. Je n'en veux pas à Dra de m'avoir caché la vérité pendant quelques années. Aujourd'hui, je suis plus adulte et plus forte. Malgré tout, le rejet de mes parents à mon égard à été plus fort. Ils avaient eu des bébés et ils avaient choisi Iris. Pas moi. Ça reste dur à entendre et à encaisser, qu'importe l'âge qu'ont a. 

 

Autre surprise, j'étais à mille lieux du comportement et de l'attitude de ma mère. Elle avait l'air sincère et étrangement, je n'ai pu m'empêcher d'éprouver de la compassion envers elle. J'ai clairement perçu dans sa voix et ses yeux, son chagrin et sa tristesse. Le passé a l'air aussi douloureux pour elle, que pour moi. Elle doit vivre dans ses regrets et ses remords depuis des années, ce qui expliquerait sa surprotection envers sa fille. Elle doit vouloir inconsciemment racheter ses erreurs de jeunesse en gâtant un peu trop Iris. Je crois même, qu'elle a un peu ému cet aigri de Dracula. Je pensais qu'elle allait m’accueillir comme une pestiférée, à l’instar de mon père. J'ai toujours imaginé mes parents biologiques comme des gens méchants et sans cœur. Au contraire, elle avait l'air douce et gentille. Un peu sensible, comme moi. Je me surprends à aimer d'avoir un point commun avec elle. Mais visiblement, les gènes ne se sont pas transmis à mon ignoble sœur.

 

Nom d'un petit bonhomme, comment quelqu'un peut-il être aussi méchant ? Elle n'a fait que bouder comme une gamine de cinq ans et cracher son venin. Et dieu sait, qu'elle n'y ait pas allé de main morte. Elle a suggéré d'horribles accusations totalement infondées sur Dracula. Comment a-t-elle pu pensé qu'il m'avait violé ou abusé de mon corps ? Un homme aussi respectueux et gentil que lui, ne ferait jamais une chose aussi abjecte. C'est l'homme le plus merveilleux que j'ai jamais rencontré. Bon je dois admettre que je ne suis peut-être pas très objective vu l'amour que je lui porte. Cette garce était jalouse que notre mère puisse s'intéresser un tant soit peu à quelqu'un d'autre qu'à sa petite personne. Quelle égoïste capricieuse ! La gifle de son père lui a fait le plus grand bien, je pense qu'elle aurait dû l'avoir il y a des années. Peut-être que s'ils s'étaient montrés un plus sévère et moins laxiste avec elle, elle ne serait pas la garce qu'elle est aujourd'hui.

 

Mon père, la personne la plus énigmatique de la famille. Je n'arrive pas à le comprendre, il reste un mystère. Il a eu des mots très durs envers moi, mais malgré tout, il n'a pas hésité à remettre ma jumelle à sa place quand elle m'a insulté. J'ai vraiment du mal à le cerner. Il est vraiment différent de moi à l'instar de ma mère. Néanmoins, je peux entendre qu'il n'ai pas d'attachement pour moi, après tout je n'en ai pas pour lui non plus. Il est peut-être un peu maladroit dans sa façon de s'exprimer et un peu trop franc. Peut-être arrivé-je à le comprendre un jour ?

 

Je vais devoir réfléchir à la proposition de Suzanne. Vais-je accepter de les revoir ? Ai-je envie de garder contact et d'apprendre à les connaître ? Iris, je pense que la réponse sera et restera toujours non. Je n'ai pas envie de fréquenter une personne aussi méchante, mais ce n'est pas la même histoire pour mes parents et plus particulièrement pour ma mère. Au fond de moi, je ressens ce besoin d'en savoir plus pour elle, car après tout, elle reste la femme qui m'a mise au monde. Je me surprends même à me demander si nous avons d'autres points communs que notre sensibilité. Je vais me laisser quelques jours pour étudier la question de plus prêt avant de donner une réponse à Madame Blanchard.

 

Avant toute chose, je dois raconter cette après-midi riche en émotion à Anne. Je sais qu'elle attend impatiemment mon retour. Je suis sûre qu'elle s'est inquiétée toute l'après-midi et qu'elle s'est posée une tonne de questions. J'ai eu beau lui dire plusieurs fois qu'elle restera toujours ma seule et unique maman, elle n'a pas réussi à déstresser. Je pense qu'elle a peur que je la délaisse au profit de ma famille biologique, ce qui n'arrivera jamais. Elle restera toujours la seule maman dans mon coeur.

 

La pluie qui s'abat violemment sur le pare-brise me sort de mes pensées. Quand on est sorti de chez les Blanchard, le déluge s'était arrêté. Le soleil était même revenu parmi nous, mais visiblement, il est déjà reparti pour laisser place au déluge. Je pousse un long soupir. Il ne pouvait pas pleuvoir des cordes après que je sois rentrée à la maison ? Je déteste conduire sous ce temps encore plus qu'en je vois à peine devant moi. Le vent commence à se lever. J'agrippe fermement mon volant, ce n'est pas le moment d'aller au fossé. Il manquerait plus que de gros grêlons s’abattent sur la voiture, ça serait le pompon. Le regard fixée droit devant, je regarde attentivement la route devant moi. Je suis entourée de forêt, il ne faudrait pas qu'une biche ou un autre animal déboulent devant mes phares. Les essuie-glaces balaient le pare-prise, vitesse maximum. Je ralentis légèrement l'allure, je roule maintenant à soixante kilomètres sur une voie à quatre-vingt. Soudain, une forme noire apparaît au loin. Qu'est-ce que c'est ? Il y a quand même pas un bélier qui se promène au milieu de nul part sous ce déluge ?! Mon dieu ! J'ai des hallucinations maintenant ? Je cligne rapidement des paupières, mais la masse est toujours là, sur la  route, à quelques mètres maintenant.  Mes yeux s'écarquillent. Enzo ?!

 

Merde !

 

 

Tout se passe si vite. Je tourne brusquement le volant à gauche pour l'éviter au dernier moment, mais malheureusement, c'est sans compter l’aquaplaning. Je perds le contrôle de mon véhicule, les pneus glissent sur le macadam. Je hurle tout en essayant de maîtriser au mieux mon véhicule, sans succès. Je traverse la voie sens inverse, avant de sortir de la route. Je presse la pédale de frein le plus fort possible, pour tenter d'arrêter l'automobile. Échec. La voiture dévale le ravin avant de faire quelques tonneaux. Je suis secouée dans tous les sens, heureusement la ceinture de sécurité me maintiens un minimum. Les bruits sont horribles : mes cris sont mêlés aux chocs de la carrosseries contre le sol. J'ai l'impression d'être broyée à l'intérieure de mon propre véhicule. Vais-je mourir après avoir rencontrer mes parents bibliologiques ? Seule et effrayée au milieu de nul part ? 

 

La voiture se stabilise une fois en bas du ravin, à l'endroit, les roues sur la terre ferme. Je relativise en me disant que cela aurait pu être pire, elle aurait pu se retrouver sur le toit et moi la tête à l'envers. On va dire que dans mon malheur, j'ai un peu de chance. Les airbags sortis, la voiture déformée par les tonneaux qu'elle a fait précédemment. Je sens quelque chose de chaud coulée le long de ma tempe. Je pose délicatement trois doigts contre mon visage et les retire. Je vois un liquide rouge sur mon index, mon majeur et mon annulaire : du sang. J'ai dû me cognée violemment la tête lors de la chute, mais tout s'est passé tellement vite que je n'ai pas réalisé. Je réalise également que ma jambe droite est écrasée entre le siège et le volant. J'ai mal partout, j'ai l'impression d'être passée sous un rouleau compresseur. Je défais ma ceinture de sécurité et tente de bouger pour dégager ma cuisse, sans succès. J'ai beau me tortiller et tirer comme je peux, le résultat est le même. Elle reste fermement bloquée. Comment je vais sortir de ce pétrin ? Les larmes me montent aux yeux. Je ne les retiens pas et les laissent dévaler le long de mes joues. Pourquoi est-ce que toutes ses situations merdiques m'arrivent à moi ? Le meurtre et ensuite l'accident ? J'en ai marre, je suis fatiguée et lasse. Ce foutu karma ne peut pas me laisser un peu tranquille ? 

 

Je dois vite sortir de là, mais je n'y arriverai pas toute seule. C'est impossible. Je pense tout de suite à une personne, mon sauveur depuis toujours : Dracula. Il faut que je l'appelle pour qu'il me sorte de cette voiture. Je cherche du regard mon sac à main, qui dans la chute, a valsé au pied du siège passager avant. Evidemment, ça aurait été trop beau s'il était resté sur l'assise. J'aurai peut-être dû lui mettre la ceinture de sécurité tiens. Je pousse un soupir. Je n'arriverais jamais à l'atteindre... Je tends néanmoins mon bras droit le plus loin possible, mais il n'atteint pas sa cible. Mon portable est hors de portée.

 

J'attrape la poignée côté conducteur et essaye d'ouvrir la porte. Celle-ci reste close. Impossible de l'ouvrir. Je la secoue violemment dans l'espoir qu'elle finisse par céder. Je fais chou blanc, la chute l'a bloqué. Soudain, la panique me gagne. Comment vais-je sortir d'ici ? Comment va-t-on me retrouver ? La route était déserte, personne m'a vu ma sortie de route pour prévenir les secours. Personne ne sait que je suis bloquée au milieu de nul part, seule et blessée. Pourquoi je me retrouve toujours dans des situations improbables ? 

Les battements de mon cœur s'emballement. Ma respiration s'accélèrent, je peine à retrouver mon souffle. J'ai l'impression de suffoquer dans cette prison de métal. Je manque d'air, je n'arrive pas à remplir mes poumons d'oxygène. Je ressens des fourmis dans tous mes membres, mes mains tremblent. Je reconnais cette sensation. Je suis en train de faire une crise d'angoisse. Ah, c'est vachement le moment ! J'essaye de vider ma tête et me calmer. Je prends une longue et bruyante inspiration avant d'expirer de la même façon. Je répète ces actions une trentaine de fois, jusqu'à ce que mon rythme cardiaque reviennent à la normal.

 

Je perds la notion du temps, je ne sais pas depuis combien de minutes ou d'heures, je suis ici. J'ai l'impression que cela fait une éternité. Je commence à ressentir le froid extérieur, l’habitacle se refroidi doucement. Épuisée par le choc émotionnel de l'accident, je sens la fatigue me gagner. Mes paupières se font lourdes. Mes yeux se ferment, j'ai envie de dormir. Juste quelques minutes. Peut-être qu'à mon réveil, je serais au chaud à l’hôpital. 

 

Une voix me crie de rester éveillée et de ne pas céder à la fatigue. J'essaye tant bien que mal de ne pas céder à l'épuisement. J’appuie délicatement ma tête contre la vitre froide et humide.

 

— Amé ! s'écrit une voix.

 

— Dra ! m'écrié-je.

 

Je ressens un grand soulagement en apercevant son visage familier. Des larmes coulent le long de mes joies. De joie et de fatigue. Je suis tellement contente de le voir. Il va enfin me sortir de là. J'attends qu'il m'aide à m’extirper de la voiture, mais il reste planté devant la fenêtre. Il est raide comme un poteau et me fixe à travers la vitre. A quoi il joue ? Qu'est-ce qu'il attend pour faire quelque chose ? 

 

—  Aide moi ! crié-je

 

Il fait un pas vers l'avant et s'approche de la portière conducteur. Il serre le poing et l'envoi dans la fenêtre, qui se brisent. Des morceaux de verre s'éparpillent à travers l'habitable. Je cris tout en me couvrant le visage avec mes mains. Il a perdu la tête ou quoi ?! Et c'est quoi cette force de Hulk ! Quelques secondes plus tard, je baisse mes bras et lance un regard noir à Dracula.

 

— Non mais t'es malade ! 

 

Mais celui-ci reste silencieux. Il me dévisage, le visage impassible. Qu'est-ce qui lui arrive ? Il approche sa main de mon visage. Je pense qu'il va me caresser la joue ou touché ma blessure à ma tempe, mais je me trompe. Il enserre mon cou de ses doigts. Il resserre son emprise, bloquant mes voies respiratoires... J'étouffe, je commence à manquer d'oxygène.

 

— Dra, m'étranglé-je.

 

Je pose mes mains contre les siennes et essaye de le faire lâcher prise. Je tire de toutes mes forces, sans succès. Je suis trop faible, je ne fais pas le poids face à un homme. Je suis sans défense. L'homme qui m'a toujours protégée jusqu'à aujourd’hui est en train de me tuer. Je suffoque, la gorge me brûle. J'ai besoin d'air, maintenant. Il me dévisage indifférent, j'ai l'impression de n'être rien à ses yeux. C'est triste, le dernier visage que je vais voir avant de mourir est celui de l'homme que j'aime, mais aussi de mon meurtrier. Des larmes coulent le long de mes joues. 

 

Trou noir.

 

Je me réveille en sursaut sur mon siège conducteur. Un cauchemar, c'était juste un horrible cauchemar. Je m'étais assoupie. Je pousse un soupir de soulagement. Evidemment que ça ne pouvait pas être vrai, Dra ne me ferait jamais de mal. Quitte à dormir un peu, je ne pouvais pas rêver de licorne ou alors de vacances au soleil. J'aurais pu baver devant les abdo de l’Apollon qui dort tous les soirs, sous le même toit que moi. Mais non, mon imbécile de cerveau préfère me voir mourir. 

 

Je jette un coup d’œil à l'extérieur. Je ne sais pas combien de temps je me suis assoupie, mais la nuit commence à tombée. Etant fin décembre, je dirais qu'il n'est pas loin de dix-sept heures.

 

Soudain, il me semble apercevoir une silhouette au loin. Ah non ! Je ne me suis quand même pas rendormi en quelques secondes ?! Ça ne va quand même pas recommencer ces hallucinations ? Je plisse les yeux pour essayer de mieux distinguer la masse. J'ai l'impression qu'elle se rapproche lentement. Très lentement. On dirait un humain. Est-ce la réalité ou mon imagination ? J'espère et prie pour que ça soit Dra. Qu'il m'est trouvé par je ne sais quel moyen et qu'il soit là pour me sauver.

 

— Aide moi, chuchoté-je d'une petite voix.

 

La silhouette avance doucement. Les contours semblent flous, mais je sais une chose : il ne s'agit pas de Dra. 

 

 

Il fait noir. Ma tête me lance, je sens quelque chose serrer mon crâne. Mon corps me fait mal, j'ai l'impression d'avoir fait une séance de sport intense pendant deux longues heures et d'avoir des courbatures dans tous les muscles. Mes paupières sont lourdes. Petit à petit, des bruits, et plus précisément des voix me parviennent. Je reconnais Dra. Il est là ! 

 

J'ouvre doucement les yeux, mais ma vision est floue. Il se passe quelques secondes, les temps qu'ils s'habituent à cette lumière  aveuglante provenant des néons du plafond. Je distingue maintenant parfaitement les formes et les couleurs qui m'entourent.

 

 Amé ! s'exclame Dra.

 

Le visage de l'homme que j'aime apparaît, la panique se lit sur son visage. Je remarque qu'il a les yeux rouges et humides. Il a dû pleuré, mais pourquoi ? D'ailleurs, où suis-je ? Je tourne lentement la tête de gauche à droite. Des murs blancs, une petite table, une télévision et Anne. Elle est aussi ici. 

 

 Tu es à l'hôpital, explique Dra comme s'il avait lu dans mes pensées. Tu as eu un accident.

 

L'hôpital ? Un accident ? Je cherche dans mes souvenirs et petit à petit, les images me reviennent en tête. Mais oui, je me souviens maintenant. Nous étions sorti de la maison des Blanchard et je venais de quitter Dracula pour rentrer au château. Et ensuite ? La route. L'hallucination d'Enzo. La voiture dans le ravin. Et la mystérieuse silhouette. Comment ai-je atterri ici ? Qui m'a trouvé ? 

 

 Elle ne parle pas ? Pourquoi elle ne parle pas ?! Vous aviez dit qu'elle allait bien, s'énerve Dra. 

 

 Tous les résultats sont bons Monsieur DE ROSNAY. Elle a une légère commotion cérébrale, mais ses facultés physiques tels que la parole n'ont pas été touchées, explique une voix inconnue.

 

C'est seulement à ce moment que je remarque la présence d'une troisième personne. Un homme d'une quarantaine d'années se tient en retrait, derrière Dra. Des feuilles dans les mains, il porte une blouse blanche. A en juger son accoutrement, il s'agit probablement d'un médecin.

 

 Je vous jure que si elle ne parle pas et qu'elle a des séquelles, je vous colle un procès au cul ! avertit méchamment Dracula.

 

— Elle va bien Monsieur, un peu de patience. Elle vient à peine d'ouvrir les yeux, laissez lui un peu de temps.

 

 Vous saurez que la patience n'est pas mon fort, docteur, dit-il en insistant sur le dernier mot.

 

 Si c'est pour crier, vous feriez mieux d'aller dehors, gronde gentiment Anne. Amé n'a pas besoin de ça.

 

Après avoir fini sa phrase, elle se rapproche doucement. Elle s'assit au bord du lit et me prend la main pour la serrer délicatement. Elle aussi a les yeux rouges et humides. Elle a pleuré, elle a dû avoir tellement peur. Entre la rencontre avec mes parents et l'accident, son pauvre petit coeur n'a pas été épargné aujourd'hui. Parfois, je m'en veux de lui causer autant de soucis.

 

- Ma chérie, chuchote-t-elle. Je suis là, tout va bien maintenant.

 

Aie ! Je ressens une douleur aiguë à la tête. Je lève lentement ma main droite vers l'endroit qui me lance et je sens un morceau de tissu sous mes doigts. Qu'est-ce que c'est que ce truc ?

 

 Ils ont désinfecté la plaie que tu avais au-dessus de la tempe et t'ont fait un bandage, explique Anne. C'est provisoire, juste pour quelques jours. Mais éviter de le toucher ou de le tripoter, tu vas finir par le défaire.

 

Anne esquisse un faible sourire avant de me caresser doucement la paume de la main avec son pouce. Être entourée des gens que j'aime me rassure énormément. Il y a encore quelques heures, j'étais seule et effrayée prise au piège dans ma propre voiture au milieu de nul part. Je repense à l'accident, la scène se rejoue dans ma tête. Les pneus qui crissent sur le macadam. Le véhicule hors de contrôle. La chute. Mon corps secoué dans tous les sens, tel un vulgaire pantin. La solitude et la peur. D'ailleurs, maintenant que j'y pense, comment m'en suis-je sortie ? Quelqu'un m'a finalement trouvé ? Je jette un oeil par la fenêtre et je suis surprise de voir qu'il fait nuit. Je ne l'avais pas remarqué avant. Combien de temps suis-je resté coincée là-bas et depuis quand suis-je inconsciente, allongée sur ce lit d'hôpital ? 

 

Je sens une main se poser sur mon épaule. Je tourne la tête et découvre Dra qui me fixe, inquiet.

 

 Amé, tu me reconnais ? Tu sais, je suis le bel apollon qui t'héberge sous son toit, sourit-il.

 

Anne abat sa main libre sur le bas du dos de Dracula.

 

 Mais vous êtes malade ?! s'offusque ce dernier.

 

 Arrêtez de faire le clown, gronde-t-elle. Vous voyez que c'est le moment de faire le pitre ? Soyez sérieux, nom d'une pipe !

 

J'esquisse un sourire. J'aime les voir comme ça, Dra à l'air d'un petit garçon qui se fait réprimander par sa mère. Parfois, je n'ai pas vraiment l'impression qu'il soit vraiment un adulte, mais plutôt un grand enfant qui cherche de l'amour et de l'attention. 

 

— Je me souviens, tu es l'homme qui se lave avec des linguettes pour bébé, ris-je.

 

 C'est petit Amé ... Je crois que je te préférais quand tu étais muette, taquine-t-il.

 

 Vous voyez, je vous avais bien dit qu'elle allait bien, s'exclame le médecin.

 

Son intervention lui vaut un regard noir de la part de Dra. Ce dernier lui demande de quitter la pièce et de nous laisser seuls, mais le professionnel refuse.

 

 Je dois ausculter Mademoiselle DE ROSNAY maintenant qu'elle est réveillée, informe-t-il.

 

 Vous venez de dire qu'elle allait bien, contre mon protecteur. Vous seriez-vous trompé ?

 

 Je reviendrais d'ici une petite heure, informe le docteur après quelques secondes de réflexion.

 

Sur ces mots, il sort de la chambre. Maintenant que nous sommes entre nous, Dra va me questionner sur ce qu'il s'est passée. Je décide de le devancer en prenant la parole en première.

 

 J'ai eu un accident, dis-je.

 

 Ah bon ? Je crois que je n'avais pas compris !

 

J'ignore le sarcasme de Dra et poursuis.

 

 Je crois que j'ai eu une hallucination, lâché-je hésitante. J'ai été surprise de voir cet homme au milieu de la route, sorti de nulle part. J'ai paniqué et...

 

 Cet homme ? me coupe-t-il.

 

— Oui, Enzo.

 

 Qui est Enzo ? demande Dra en fronçant les sourcils.

 

 Mon professeur. Rappelle-toi, je t'en ai parlé il y a quelque temps. Tu sais, celui qui à l'air de te connaître et qui semble ne pas trop m'apprécier. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis notre rencontre, j'ai un drôle de pressentiment à son sujet. Mon instinct me dit qu'il est dangereux.

 

 Pourquoi penses-tu qu'il le soit ? Il a essayé de s'en prendre à toi ? interroge-t-il.

 

 Non. Enfin bref, j'ai vu Enzo au loin, au milieu de la route. J'ai paniqué et j'ai braqué sans réfléchir le volant à gauche. J'ai perdu le contrôle de la voiture et pouf ... dans le ravin.

 

 Et pouf, dans le ravin, répète sèchement Dracula. Tu te rends compte que tu as eu de la chance et que tu t'en sors très bien de cet accident Amé ?!

 

Je suis agacée qu'il s'en prenne à moi comme ça. Il passe injustement ses nerfs sur moi. C'est quoi son problème ? Il préférait que je pleure toutes les larmes de mon corps ? Oui, j'ai eu peur et j'ai cru mourir, mais c'est passé, je suis maintenant en sécurité à l'hôpital. Le pire est derrière moi et je ne vais pas me lamenter pendant des jours. Je suis heureuse d'être allongée dans ce lit, en bonne santé si l'ont fait abstraction de cette légère commotion cérébrale. Je suis en vie et c'est le plus important.

 

 Bon, tu l'as vu ou pas ce Enzo ? s'agace Dracula.

 

 Je ne sais pas, chuchoté-je. 

 

— Bon sang Amé, tu dois bien être capable de me dire si oui ou non, tu as vu ce type au milieu de la route ! s'énerve-t-il.

 

 Je n'en sais rien, crié-je. Je suis fatiguée, je me souviens plus très bien de l'accident. Tout s'est passé si vite.... J'étais bloquée dans la voiture au fond du ravin, tu crois que j'ai pu remonter pour vérifier si c'était bien lui ?! Et puis, qu'est-ce qu'il ficherait perdu là, au milieu de nulle part ? Lâche-moi avec tes questions !

 

 Vous êtes en train de vous emporter. Elle vient à peine de se réveiller, vous la harceler de questions et vous lui criez dessus, intervient Anne. Vous devriez aller prendre un peu l'air.

 

Il garde le silence quelques instants. 

 

 Excuse-moi Amé, je me suis un peu trop emporté.

 

Sur ces mots, il quitte la chambre en me laissant seule avec Anne.

 

— Ne lui en veux pas. Il s'inquiète beaucoup pour toi, tu sais.

 

 Je sais, souris-je.

 

Je comprends sa réaction, ce n'est pas la première fois qu'il réagit ainsi. Quand il est inquiet, il perd les pédales et les bonnes manières. Il reviendra quand il aura décoléré et se sera calmé.

 

J'ai la tête lourde, cet idiot m'a filé un mal de crâne avec son interrogatoire. J'éprouve beaucoup de difficultés à rassembler mes idées. Plusieurs choses me chiffonnent dans cet accident. Je ne suis pas sûre qu'il s'agit d'une hallucination car Enzo aurait été la dernière personne qui me serait venu à l'esprit. Pourquoi est-ce lui qui serait apparu ? Ça n'a pas de sens ! De plus, quelqu'un était là avant que je perde connaissance. J'en mettrais ma main à couper. Je ne sais pas qui il est, mais j'ai clairement vu sa silhouette avancer vers la voiture. Si seulement j'étais restée éveiller un peu plus longtemps pour voir son visage. Que faisait-il au milieu des bois ? Ce n'est ni la saison de la chasse, ni celle des champignons. Est-ce lui qui a prévenu les secours ?

 

— Dis, Anne. Qui m'a trouvé ? demandé-je.

 

 C'est Dracula, m'informe-t-elle. Il est arrivé au château vers vingt heures. Il s'est mit à paniquer quand je lui ai dit que tu n'étais toujours pas là. Il a tout de suite su qu'il s'était passé quelque chose. Il a dit que ce n'était pas normal, que tu aurais dû être rentrée depuis des heures. Il est parti comme une furie à ta recherche. Un quart d'heure plus tard, il m'a appelé pour me prévenir que tu avais eu un accident et qu'il t'amenait à l'hôpital. Mon vieux cœur a bien failli s'arrêter ! En ce moment, tu ne l'épargne pas.

 

Je m'en veux de lui avoir causé autant de soucis. Peut-être que si j'avais été un peu plus attentive, je n'aurais pas eu d'accident. En ce moment je ne dors pas beaucoup avec tous ses événements. Le manque de sommeil peut-il causer ou favoriser les hallucinations ? Je n'ai pas mon téléphone sur moi, sinon j'aurais déjà tapé sur Google "potentiels symptômes insomnies". Internet est une vraie pépite d'or maintenant, on y trouve une quantité d'informations étonnantes.

 

En parlant de choses surprenantes, les paroles d'Anne m'ont surprise. J'étais à mille lieux d'imaginer que Dra était celui qui m'avait trouvé. Si ce n'est pas le mystérieux inconnu qui m'a sorti de là, qu'a-t-il fait ? Serait-il parti comme si de rien n'était, en me laissant inconsciente dans la voiture ? Quel être humain peut s'en aller sans apporter son aide à une personne en détresse ? Je ne comprends pas...

 

 Dra m'a sauvé ? répété-je.

 

 Oui, confirme-t-elle. Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as l'air soucieuse. 

 

 J'ai vu la silhouette d'un homme ou d'une femme qui s'approchait du véhicule avant que je perde connaissance, je pensais que c'était lui qui avait prévenu les secours. 

 

 Ah bon ? s'étonne-t-elle. Tu en es sûre ? 

 

 Certaine. C'est pour ça que je ne comprends pas pourquoi, il ou elle n'a pas appelé les pompiers ou le samu... Je ne sais pas, mais tu vois une personne évanouie dans sa voiture suite à un accident, tu appelles les secours non ? C'est ce que quelqu'un de censé ferait en tout cas.

 

 C'est étrange... Peut-être était-ce une hallucination ? suggère-t-elle.

 

Et voilà, j'aurais dû tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler et me taire concernant l'histoire d'Enzo. Maintenant on va me prendre pour une folle qui voit des apparitions à la moindre chose inexplicables. Et oui, ma pauvre Amé, c'est étrange et illogique que tu es vu quelqu'un dans la forêt et qu'il ne t'ai pas aidé. Conclusion, cette personne à donc forcement été crée par ton imagination débordante. Bordel, pourquoi on ne me prend jamais au sérieux ? Je suis vexée jusqu'au trognon qu'Anne ne me croit pas.

 

 Enfin, maintenant tu es en sécurité, sourit-elle. 

 

Oui, pour le moment. Il y a toujours un meurtrier qui court dans nos rues, mais je m’abstiens de lui rappeler. 

 

 Raconte-moi ta rencontre avec tes parents, comment ça s'est passé ? demande Anne.

 

 Plutôt bien, enfin mieux que je le pensais. On est arrivé devant l'entrée et une fille qui me ressemblait comme deux gouttes d'eau nous a ouvert la porte. Je te raconte pas le choc que j'ai eu, mon cerveau a mit un peu de temps à admettre l'impensable. Une jumelle. La pilule été dure à avaler, dis-je en grimaçant. Mes parents avaient eu deux bébés, mais ils avaient choisi d'en garder d'un seul sur les deux, elle. C'est moi qu'ils ont choisi d'abandonner. Pendant qu'on été là-bas, mille et une questions se sont bousculées dans ma tête. Pourquoi avaient-ils décidé de prendre soin d'Iris à ma place ? Ont-ils pensé à moi une seule fois dans leur vie ? Que serais-je devenue si nos places avaient été inversées et qu'ils m'avaient élevé ? J'y ai un peu réfléchi avant d'avoir l'accident et je me fiche des réponses au final. Vivre dans le passé n'apporte que tristesse et remords, cela nous empêche d'avancer dans le présent. Pendant des années, j'ai ressassé mon abandon et ça n'a servit qu'à me rendre malheureuse. J'avais toujours ce poids sur le cœur, qui ne partait jamais jusqu'à aujourd'hui. Je me sens légère et apaisée. Ma vie est celle qu'elle est et je ne regrette rien, au contraire. Je suis heureuse d'avoir vécue avec toi et Dracula, vous m'avez apporté tant d'amour. Tu es ma maman et personne d'autre ne te remplacera, souris-je.

 

Je croise le regard d'Anne, ses yeux sont larmoyants. Elle est touchée par les mots que je viens prononcer même si je ne lui apprends rien. Elle sait déjà tout ce que je pense, mais l'entendre est différent.

 

— Et tu es ma fille. Tu es le plus beau cadeau qu'on ai pu m'offrir. Si cette rencontre t'as fait du bien et t'as permis d'avancer, je suis contente pour toi, sourit-elle chaleureusement.

 

— Il faut que tu saches que Suzanne Blanchard m'a demandé de rester en contact avec eux, elle veut apprendre à me connaître, informé-je.

 

— Elle reste ta mère, ça serait normal que tu veuilles en savoir plus sur elle Amé. Si c'est ce que tu souhaites, je le comprends, je ne t'en empêcherais jamais. Elle reste de ta famille quoi qu'on en dise. Et ta jumelle, Iris c'est ça ? Elle est gentille ?

 

— Pas vraiment, grimaçé-je. Pardonne-moi l'expression, mais c'est une pétasse. Je n'ai jamais vu une fille aussi méchante, égoïste, mal élevée, malpolie, capricieuse, pourrie gâtée, boudeuse, colérique et encore beaucoup d'autres choses.

 

 Et bien, tu l'as rhabillée pour l'hier, rit Anne. Elle a beaucoup de qualités cette petite. Et ton père ?

 

— Je ne sais pas trop. J'ai beaucoup de mal à le cerner. Il a l'air très froid et distant, mais bizarrement, il a pris ma défense quand Iris m'a traiter de traînée. Il l'a giflé !

 

— Quoi ? Elle t'as vraiment insultée ? s'offusque-t-elle.

 

— Oui, elle était rongée par la jalousie de ne plus être le centre d'attention de sa mère. La pauvre chérie. Enfin, voilà après midi riche en émotion !

 

— Ça en avait l'air, dit-elle en esquissant un léger sourire.

 

— Dis, j'aimerais revenir sur quelque chose... En ce qui concerne cette fameuse bouteille de jus de tomate, dis-je en mimant des guillemets.

 

Son regard s'assombrit à l'évocation de cette histoire, elle ne semble pas enchantée que je remette le sujet sur le tapis. Elle sait pourtant que lorsque j'ai une idée en tête, je ne lâche pas le morceau. Je suis une vrai tête de mule. Elle fronce les sourcils et me porte un regard accusateur.

 

 Oh Amé, tu ne vas pas recommencer !

 

  Oh si, et je continuerais autant de fois qu'il faut si vous continuez à me mentir. Dites-moi la vérité ! Je veux l'entendre de votre bouche.

 

Ses yeux me fixent, elle semble perdue et embêtée par la situation. Elle garde le silence quelques secondes. Réfléchit-elle à la meilleure façon de noyer le poisson ?

 

  Ce n'est pas à moi de la dire, soupire-t-elle. Et je ne suis pas sûre qu'il soit encore prêt ...

 

  Le sera-t-il un jour ? Ne va-t-il pas repousser encore et encore l'heure fatidique ? 

 

Elle ne répond pas à mes questions, elle reste muette comme une carpe. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'elle ne connaît pas les réponses, elle ne sait pas non plus si Dracula sera décidé un jour à enfin cracher le morceau.

 

  Je sais tout, Anne. Depuis quelque temps déjà, mais j'ai besoin de l’entendre de ta bouche ou de la sienne, la supplié-je à moitié.

 

Ses yeux s'écarquillent, elle semble surprise par mon aveu et ne s'y attendait probablement pas. Désolé, mais le temps de la douce et naïve Amé est révolu. Je sais que si je commence maintenant, je n'arriverais plus à m'arrêter. J'en ai tellement gros sur le cœur et depuis si longtemps, que si j'ouvre la vanne, mon flot de paroles ne s'en finira pas. Mais, je ne peux plus garder ça pour moi, c'est trop lourd à porter au quotidien. Se voiler la face et faire comme si de rien n'était est trop fatiguant.

 

 J'ai toujours su que quelque chose clochait chez lui et ce depuis ma plus tendre enfance. Il n'était pas comme les autres, par exemple, il ne vieillissait pas. Je me souvient lui avoir même poser la question. Bien sûr, à l'époque il m'a sorti un joli bobard, sourit-je. Enfant et adolescente, je n'y ai pas prêté plus d'attention que ça, j'avais d'autres choses en tête. Je préférais m'amuser avec les personnes de mon âge ou tenter de me faire remarquer par le garçon qui me plaisait. Puis, il y a quelques mois, j'ai commencé à vraiment m'y intéresser et à me poser des questions. La curiosité était trop forte. Au début, j'ai pris ça comme un jeu, c'était même plutôt marrant de jouer au détective pour le coincer. Sa jeunesse éternelle et son problème avec l'eau ont été les premiers indices,  d'autres ce sont ajoutés par la suite. Les pièces du puzzle ont commencé à s'assembler, soufflé-je.

 

Anne m'écoute attentivement, en silence. Je crois même apercevoir un voile de tristesse sur son visage. Je fais une courte pose pour essayer de maîtriser mes émotions, je sens progressivement un noeud se former dans ma gorge.

 

J'ai commencé à avoir des doutes lors d'une découverte faite par hasard à l'école. Une photographie prise en 1875 lors de la reconstruction de la ville, où l'on voit notamment Alucard DE ROSNAY, l'ancêtre de Dracula. J'ai eu un sacré choc ! Cet homme était son portrait craché, en tout point. Je savais très bien qu'il me mentait quand il me disait qu'il s'agissant de son arrière arrière arrière grand père. Je ne suis pas stupide, je sais que c'est impossible que deux individus d'époques différentes se ressemblent comme deux jumeaux, même s'ils sont de la même famille. Il peut y avoir des ressemblances bien sûr, mais ils ne peuvent pas être des copies conformes. Cette personne qui prend la pose avec les autres fondateurs, c'était lui ou plutôt, c'est lui. J'ai accepté de croire à son mensonge parce que ça m'arrangeait, c'était plus simple de se voiler la face plutôt que d'accepter la vérité, dis-je en me pinçant les lèvres.

 

Les larmes me montent aux yeux, mais j'essaye de les contenir. Je cligne des paupières pour tenter de les ravaler, sans succès. Quelques larmes dévalent le long de mes joues, je suis touchée par ce que j'avoue enfin à Anne, mais aussi par la conclusion qui s'impose à toute cette histoire. Elle reste silencieuse, elle m'écoute avec la plus grande attention. Je n'avais jamais parlé de tout ceci avant, de ce que j'ai au fond de mon cœur. Mes peurs, mes angoisses et mes désillusions. C'est avec la gorge légèrement nouée par l'émotion que je continue mon monologue. 

 

  Quand nous sommes allée au bal de Noël et qu'il s'est présenté à mes amis sous le nom d'Alucard, le prénom de son ancêtre, j'aurais dû trouver ça étrange. Mais ça ne m'a pas vraiment surprise car je savais, au fond de moi, que ce n'était pas un mensonge. Il ne faisait que révéler de manière détournée et intelligente sa véritable identité. Pour une fois, il était honnête contrairement à moi. Je me suis encore une fois voilé la face, préférant croire qu'il mentait. On dit que l'amour rend aveugle et c'est vrai, je n'ai rien voulu voir. Je crois que le pire s'est passée lorsque nous sommes allées voir la tombe de sa sœur. Les images, ces chiffres gravés dans le marbre : 1853 - 1906, m'étranglé-je. J'ai fait comme si je ne les avait pas vu, car je ne voulais pas accepter l'horrible vérité. Lise était morte il y a plus de cent an ! Dra ne pouvait pas encore être vivant, à moins qu'il ne soit pas humain. C'était trop dur à avaler, mais malheureusement, je sais ce que mes yeux ont vu ce soir-là. Même s'il faisait nuit, et que seule la lampe torche nous éclairait, j'ai aperçu distinctement ces nombres écrient sur la pierre. L'image est gravée très distinctement dans mon cerveau, mais mon coeur à refuser d'admettre cet horrible et douloureux indice. Depuis des semaines je me voile la face, parce que c'est plus facile et plus logique. Une part de moi recherche la vérité, mais l'autre en a terriblement peur. C'est difficile et cruel à entendre. Jessica l'a souligné un jour, nous n'avons pas d'avenir en commun. Ses mots exacts étaient "voué à l’échec" et elle a raison. Un vampire et un humain n'ont rien à faire ensemble. Notre histoire est impossible, soufflé-je dans un murmure tandis qu'une nouvelle larme dévale le long de ma joue.

 

Je vois Anne trésaille à l'évocation de la condition particulière de Dracula. Jusque-là, je n'avais pas prononcé ce mot, au contraire, je l'avais soigneusement évité. J'ai toujours su qu'il était particulier et qu'il n'était pas comme tout le monde, mais jusqu'à très récemment, je ne savais pas exactement ce qu'il était. C'est lorsque je suis tombée sur sa bouteille de sang, que j'ai su. Cette fameuse créature assoiffée de sang que l'ont retrouve dans de nombreux films et livres, c'était lui. Ma  chère maman de cœur semble désemparée face à la situation, je pense qu'elle ne s'attendait pas à avoir cette conversation avant quelque temps. Malheureusement, tout ne se passe pas toujours comme on le souhaiterait et je suis bien placée pour le savoir.

 

 Une personne comme moi, une simple humaine ne peut pas vivre sa vie auprès d'un vampire. Nous ne sommes temporellement pas compatibles. Plus d'un siècle nous sépare. Je ne sais pas quel âge à Dra, mais en me basant sur l’année de naissance de sa sœur, il doit avoir plus de cent cinquante ans. Mon espérance de vie est celle d'un animal de compagnie pour lui, soufflé-je.

 

Les bras d'Anne m'enlacent tendrement et je m'y réfugie. Je pleure contre sa poitrine toutes les larmes de mon corps. J'ai les nerfs à vif à cause de tous les récents événements. Je ne sais pas ce qui est le plus difficile, réaliser et accepter cette douloureuse vérité ou bien se rendre compte que notre amour est voué à l'échec dès le départ. Avant même ma naissance. Aujourd'hui nous ne sommes plus un homme et une femme, mais une terrestre et un vampire. Deux espèces qui n'ont rien à faire ensemble et que la vie s'amuse à rappeler chaque jour. A cette pensée, le visage jeune et sans ride de Dracula m'apparaît.

 

 

 

Je suis seule, allongée dans mon lit d'hôpital. Le médecin qui m'a ausculté quelques heures plus tôt m'a autorisé à sortir, mais pas avant demain midi. Je dois avouer que je suis un peu soulagée, cela me permet de réfléchir à toute cette histoire de vampire sans avoir Dracula sous le nez. Ce dernier est passé me voir peu de temps après le départ d'Anne, mais nous ne nous sommes pas parlé. J'ai fait semblant de dormir pour éviter toute discussion avec lui. Pour la maturité et le courage, on a déjà vu mieux. Il m'aurait retourné le cerveau sans même ouvrir la bouche, il n'a qu'à apparaître devant moi pour que ma cervelle se ramollisse. J'aurais dû lutter corps et âme pour ne pas écraser ma bouche sur la sienne et ne pas lui arracher sa chemise telle une sauvage. Oui, par fois, le désespoir nous fait faire n'importe quoi ! 

 

Anne est restée un peu plus d'une heure à me caresser le dos en m'écoutant pleurer dans ses bras. Elle m'a répété de nombreuse fois "ça va aller ma chérie", mais je ne vois pas comment la situation allait pouvoir s'arranger. Quoi qu'on fasse, l'homme que j'aime restera un vampire. J'ai vu Twilight il y a quelques années et je me souviens que l'héroïne, Bella, avait été transformée et avait pu vivre son histoire d'amour. Evidemment, j'avais déjà pensé à cette idée, mais pour le moment, je ne l'envisageais pas pour plusieurs raisons. Je ne voulais pas vivre éternellement en me nourrissent de sang, je trouvais ça un peu trop glauque à mon goût. J'aimais trop rester de longues minutes sous l'eau chaude de la douche et flâner dans un bain pour y renoncer. Sérieusement, j'ai une tête à me laver avec des lingettes pour bébés ? Et puis, je tenais beaucoup trop à mes amies, Jess et Julie pour ne plus les voir. Comment pourrais-je leur expliquer dans une dizaine d'années que je n'ai pas pris une ride ? Que j'ai toujours l'apparence de mes vingt ans ? A moins de leur dire toute la vérité, mais cela deviendrait dangereux pour Dracula et moi. Le problème quand on confie un secret à quelques personnes, c'est que malheureusement, il finit toujours par fuiter. Mes copines finiront par avoir des relations sérieuses ou même des maris et forcement, ces derniers se douteront de quelques choses. C'est de ces personnes-là que je me méfierais. J'aurais peur de leur réaction ou qu'ils ne tiennent pas leur langue. 

 

Je commence à comprendre pourquoi l'homme que j'aime a vécu reclus dans son château avec pour seule compagnie, une femme solitaire qui avait choisi de laisser sa famille derrière elle. Un vampire ne peut pas vivre comme une personne lambda, c'est impossible. Si je veux rester humaine, c'est aussi parce que je suis morte de trouille concernant cette façon de vivre qui m'est encore inconnue et qui à l'air si difficile. Je suis loin de savoir tout ce que vit Dracula au quotidien et à quel point c'est difficile. Cette immortalité à l'air d'avoir beaucoup abîmé son âme... 

 

Je dois arrêter cette relation sans avenir. J'ai pensé à m'enfuir dans une ville à plusieurs heures d'ici pour y finir mes études, mais je ne peux pas abandonner Anne. Elle m'a élevée et aimé depuis que je suis bébé. Elle est tellement chère à mon cœur. Malheureusement, la vieillesse la rattrape, alors je veux profiter des dernières années qui lui reste. Ce qui veut dire que je vais devoir vivre aux côtés de Dracula. Fermé mon cœur à double tour et jeter la clef. Si j'ai bien appris une chose pendant ses années, c'est qu'il est aussi têtu que moi ! Je vais devoir le repousser et lui faire croire que je ne l'aime plus. Je ressens un poids à la poitrine rien que d'y penser. Il a déjà était si blessé par la vie, j'ai peur que je sois le coup de grâce pour lui. J'appréhende d'ores et déjà mon retour au château.

 

J'ai l'impression d'avoir le cerveau en compote à force de réfléchir et de penser à tout ceci. C'est tellement compliqué ! Le bruit de la porte me sort de mes pensées. J’aperçois une infirmière pénétrer dans la pièce.

 

— Comment vous sentez vous Mademoiselle ? demande-t-elle gentiment. 

 

 Bien, répondé-je. Un peu mal partout, mais ça va.

 

 Votre famille sait que vous sortez tout à l'heure ? Vous les avez prévenu ? 

 

— Oui, mens-je. 

 

J'ai envoyé un message à Dracula plutôt ce matin en lui disant que je sortirais ce soir et que j'avais des examens à passer cette après-midi. Je repousse notre inévitable rencontre. J'ai peur de craquer à l'instant ou mon regard va croiser le sien. La femme prendre une dernière fois ma tension et me remet des papiers avant de quitter la chambre. Je jette un coup d’œil à ces derniers : une ordonnance, une feuille d’information avec numéro d'urgence notamment.

 

Il est un peu plus de quinze heures. Je fixe d'un air absent la pierre tombale devant moi. Je lis intérieurement l'inscription gravée dans le marbre : DE ROSNAY LISE - 1853 - 1906. Je ne sais pas pourquoi, mais en sortant de l'hôpital, j'ai ressenti le besoin de venir ici. Peut-être pour avoir la confirmation que ce que j'avais vu était bien réel et anéantir mes derniers espoirs. Ceux où je pensais être devenue folle en me faisant des films, mais ce n'est visiblement pas le cas. Contrairement à notre dernière escapade, la nuit n'est pas tombée et le cimetière est éclairé par la lumière du jour. Cette fois-ci, je distingue parfaitement les lettres et les chiffres inscrits. J’aperçois même les noms et les dates de ses parents.

 

Je ne suis pas encore certaine à cent-pour-cent, que Dracula soit effectivement un vampire. J'ai évidemment de gros doutes sur son identité, mais hier soir, Anne n'a pas confirmé, ni nier les faits. Peut-être pense-t-elle que ce n'est pas à elle d'avoir cette discussion avec moi. Je ne sais pas combien de minutes s'écoule alors que je reste bêtement plantée devant la tombe de la famille DE ROSNAY.

 

- Amé, chuchote doucement une voix familière derrière moi.

 

Je sursaute légèrement, je ne m'attendais pas a avoir de la compagnie et encore moins à affronter Dra aussi tôt.

 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0