Dracula - Chapitre I

Chapitre I

 

 

 

 

 

17 mai 19XX

 

Cher journal,

 

Cela fait un moment que je n'ai pas pris ma plume pour écrire quelques lignes. Plusieurs mois ou peut-être même plusieurs années. J'ai perdu la notion du temps il y a bien longtemps déjà. Les journées se ressemblent toutes, je m'ennuie à mourir. Je ne peux pas sortir, le monde extérieur et les humains qui le peuplent sont effrayants. Suis-je condamné à passer toute mon existence reclus dans ces murs ? Combien de temps vais-je encore errer sur cette terre ? Je suis tellement lassé de la vie, de ma vie. Hier encore, j'ai essayé de m'enfoncer un pieu dans le cœur sans succès. Je ne sais pas où ces humains ont été chercher cette idée débile du morceau de bois mortel, mais c'est vraiment n'importe quoi. Il n'y a que dans les films que ça marche ainsi. Je hais vraiment ce que je suis devenu à cause de lui. Cette nouvelle part de moi avec laquelle je suis obligé de vivre depuis des siècles. Le temps n'a pas arrangé les choses, je déteste toujours autant le goût métallique du sang que je suis contraint de boire chaque jour de ma triste existence. J'ai bien essayé de ne plus en boire, espérant abréger mes souffrances et aller enfin manger les pissenlits par la racine, mais ce fut un échec cuisant. Et horrible. Quand mon corps et mon esprit ont commencé à perdre les pédales dû au manque de ce précieux liquide, j'ai perdu les pédales et j'ai attaqué un village. Lorsque j'ai repris conscience, c'était trop tard. Le drame avait eu lieu. J'ai massacré et vidé le sang de tous les villageois sans aucune distinction. Hommes, femmes, enfants et même bébés. La honte m'a assailli et aujourd'hui encore, je regrette tellement le monstre que je suis devenu.

 

Je peux te dire merci pour ce cadeau empoisonné. Si tu savais combien je te hais."

 

 

Je relis encore une fois la dernière page que j'ai écrit il y a quelques mois. Je pose ma plume sur le bureau et pousse un long soupir en refermant mon journal intime. Je ne rédigerais rien aujourd'hui, je ne ferais que radoter les mêmes choses, encore et encore. J'ai toujours autant de mal à me faire à cette réalité sordide. Et comme chaque jour qui passe, je me pose la même question : que vais-je faire aujourd'hui ? Décapiter un homme avant de le pendre dans mon garage ? Vider le sang d'une vierge ou encore manger un nourrisson ? Rien de tout ça, je plaisante bien sûr.

 

Je me lève de la chaise et me dirige vers la seule fenêtre de mon bureau. J'examine le paysage désolant. Tout est recouvert de neige et silencieux.  Nous sommes début décembre, si je ne me trompe pas. Je n'ai aucune idée du jour qu'on peut être aujourd'hui. De toute façon, je ne fais plus attention au temps qui s'écoule depuis des années. Nous pouvons aussi bien être en juin ou en novembre que cela ne changerait rien pour moi. Tous les jours se ressemblent, je reste cloîtré dans mon château. J’aperçois mon reflet dans le miroir accroché dans mon bureau, comme toujours mon apparence reste identique. Mes yeux noisette fixent mon enveloppe corporelle qui reste intacte au fil des années. Mes cheveux châtain foncé sont comme souvent en bataille, mon visage au teint pâle affiche un air froid, distant. La mine renfrognée, je détourne les yeux de la glace.  En parlant de miroir, je ne sais pas pourquoi ces idiots d'humains ont décrété qu'on n'avait pas de reflet, quelle drôle d'idée ! Je serais triste de ne pas pouvoir admirer mon image de beau garçon ténébreux. Un vrai gâchis ! Cela fait plus de cent cinquante ans que j'ai le physique de mes vingt-cinq ans. L'immortalité est désolante. Pas une seule petite ride n'est venu s'installer sur mon front lisse comme les fesses d'un bébé. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours habité ici, au château d'Ussé en France. Il est situé dans la commune de Rigny-Ussé dans le département d'Indre-et-Loire dans la région Centre. 

 

Je me dirige vers la cuisine pour grignoter une pomme quand je me pétrifie sur place. Quelque chose vient de se produire, une chose qui n'était pas arrivée depuis une dizaine d'années. On a sonné à la porte ! Je ne me souviens même pas de la dernière fois qu'on nous a rendu visite. 

 

 Anne ! Allez ouvrir cette porte, crié-je.

 

Anne est une dame, âgée d'une cinquantaine d'années qui me sert depuis plus de trente ans. Elle est la seule compagnie que j'ai dans ma vie et elle s'occupe de l'entretien du château. Enfin, des pièces utilisées seulement. Evidemment, elle est au courant de ma particularité, j'ai été obligé de lui en parler pour qu'elle puisse vivre avec moi. Elle s'en serait aperçu tôt ou tard et m'aurait posé des questions. Elle l'a étonnamment bien pris lorsque je lui ai expliqué mon cas si particulier. Je crie encore une fois son nom, mais seul un grand silence me répond. Je pars à sa recherche quand je me rappelle qu'elle n'est pas ici. J'ai oublié qu'elle m'a dit un peu plus tôt dans la journée qu'elle allait faire quelques courses. Bon sang, je suis donc tout seul entre ses murs. J'hésite un long moment à aller ouvrir. Les minutes me paraissent des heures. Je déambule, je fais les cent pas dans le salon quand je décide enfin d'aller voir. J'ouvre brusquement la porte d'entrée.

 

 Bonjour, grogné-je.

 

Je suis surpris, mais soulagé de ne voir personne. J'ai peut-être mis trop de temps pour aller ouvrir et la personne est partie. Pourtant les visites sont très rares, voire inexistantes. Bah, tant mieux et bon débarras. J'allais refermer le battant quand un petit bruit m’interpelle. Je crois que ça ressemble à des pleurs. Je baisse la tête et je me fige, stupéfais. Mon cerveau met quelque temps à analyser ce qu'il se trouve dans l'escalier, tellement ça lui parait improbable. Je m'accroupis sur les marches et observe minutieusement cette petite chose. Devant moi, se trouve un minuscule bébé enveloppé dans une couverture. Qui diable a pu laisser ce petit être ici ? Je penche la tête à droite, puis à gauche en examinant le nouveau-né sous toutes les coutures. Avec seulement la tête qui dépasse, impossible de savoir s'il s'agit d'un garçon ou d'une fille. Je ne sais pas quoi faire. Devrais-je le laisser ici ? Après tout ce ne sont pas mes affaires et qu'est-ce que je ferais d'un bébé ? Mon regard balaye le paysage enneigé. Je pousse un sourire et regrette déjà ce que je m'apprête à faire. 

 

J'attrape avec précaution le nourrisson toujours enveloppé au chaud et rentre à l'intérieur. Je me dirige vers ma chambre et le dépose délicatement au milieu du lit. Je déroule doucement la couverture et découvre le sexe du bébé. C'est une fille. J’examine si elle porte un collier ou une gourmette qui m'indiquerait son prénom mais, il n'y a rien. La pauvre a vraiment été abandonnée comme une pestiférée. C'est à ce moment qu'elle ouvre ses petits yeux clairs, la couleur n'est pas encore très définie. Lorsque son regard croise le mien, je suis troublé, presque ému. Le vieux vampire casanier que je suis n'a plus l'habitude des contacts humains. La crevette, toujours allongée me sourit avec ses gencives sans dent. Elle n'a pas peur de moi, un parfait inconnu. J'avais prévu de demander à Anne de la déposer devant un orphelinat, à la première heure demain matin.

 

Je ne sais pas si cette petite a un pouvoir hypnotique ou autre, mais dès l'instant où son regard a croisé le mien, je me suis pris d'affection pour elle. Je ressens quelque chose que je n'ai pas ressenti depuis des années : l'envie de prendre soin de quelqu'un. J'en ai plus qu'assez de cette vie monotone et plate. Je suis sûr que je peux apporter beaucoup à cet enfant et inversement. Mon subconscient est persuadé que cette petite chose n'a pas atterri devant chez moi sans raison. Appelons ça le Destin. C'est décidé, je m'occuperai de cet enfant. Même si je n'ai aucune expérience en la matière, Anne saura m'épauler.

 

Je dois lui trouver un prénom en premier lieu. Comment pourrais-je l'appeler ? Je n'en ai aucune idée ! Je n'ai jamais donné de prénom à qui que ce soit, pas même à un chat. Un vrai loup solitaire ! J'ai l'impression d'avoir un poids énorme sur les épaules, et si elle n'aimait pas son nom plus tard ? Je ne dois pas en choisir un ridicule, ni trop vieux. Cela fait maintenant plus de vingt minutes que je cherche sans succès. Est-ce que mes parents s'étaient posés autant de questions pour ma sœur et moi ? Ma douce Lise morte depuis des années maintenant. Je jette un œil au-dessus de ma tête de lit où repose le seul objet qu'il me reste d'elle : son collier préféré avec une Améthyste incrustée. Je ne m'en suis jamais séparé, de cette façon c'est comme si elle était toujours avec moi, à mes côtes. J'écarquille les yeux. J'ai trouvé comment je vais appeler cette petite fille !

 

 Améthyste, dis-je à voix haute. Tu t'appelleras Améthyste.

 

 

Cela fait maintenant un peu plus d’une semaine que je m’occupe d'Améthyste. Anne m’aide beaucoup je dois l’avouer, après tout qu’est-ce que j’y connais moi aux bébés. J’ai découvert que ce n’est pas évident de s’occuper d’un nouveau-né : ça se réveille plusieurs fois par nuit en pleurant, ça pleure les trois-quarts du temps, ça fait caca et pipi tout le temps, ça rote quand ça ne régurgite pas le repas. Bref ce n’est pas du tout amusant mais ça me divertit, ça me change de mon quotidien morose et répétitif. Bon, je suis réaliste, je sais que dans quelques semaines, je passerais le relais à Anne et je sais que ça ne lui déplaît pas. 

 

Je suis assis sur un tabouret de la cuisine en train de lire le journal pendant qu’elle donne le biberon à Amé. C’est moi qui lui ai trouvé cet adorable diminutif. Je suis plutôt fière de moi, d'avoir trouver un si joli prénom.

 

 Vous avez l’air fatigué, souligne Anne.

 

Je pousse un long soupir. Je ne me souviens pas avoir aussi mal dormi jusqu’à présent. Toutes les nuits, Amé me réveille plusieurs fois en pleurant pour son biberon. Je dois sûrement avoir de ces cernes sous les yeux. Finalement, je vais peut-être la refiler à Anne dès ce soir.

 

— Je dors mal et peu, répondé-je simplement.

 

 Vous voulez que je m’occupe d’Amé ce soir ? propose-t-elle gentiment.

 

Oui ! Je suis tenté d'accepter sa proposition, mais je ne peux pas. Je suis celui qui a décidé de m'occuper de cette pleurnicheuse alors je m'en occuperais. 

 

 Non, ça va aller, je vais le faire.

 

Il est hors de question que cette pauvre Anne se lève trois à quatre fois dans la nuit pour donner le biberon. A son âge -bien qu'officiellement je sois plus vieux- elle doit plutôt se reposer et récupérer la nuit. Je replonge le nez dans le journal tout en baillant à m'en décrocher la mâchoire.

 

 Je vous ai déjà dit de mettre votre main devant votre bouche quand vous baillez, me reprend-elle gentiment. 

 

Je souris. Anne se comporte vraiment comme une maman avec moi, mais j'aime ça. Ça me rappelle la mienne qui est morte depuis plus d'un siècle maintenant. Je secoue la tête pour chasser le souvenir de ma défunte mère. Je tourne les pages du journal d’un œil distrait, rien de bien intéressant comme d’habitude. Quand Amé termine son biberon, je la prend délicatement et l'emporte jusqu’à ma chambre pour faire la sieste. Je la pose doucement au milieu de mon lit et je m’installe à ses côtés. Elle s’endort au bout de quelques minutes et je la suis en sombrant à mon tour dans les bras de Morphée.

 

Les semaines défilent et Amé grandit petit à petit. Je ne vois pas les jours passer, elle occupe tout mon temps. Je suis en train de la changer, ce qui me rebute toujours autant. Le pipi ça passe, mais la grosse commission... pas du tout ! Elle est allongée sur le ventre, sur un tapis, la couche pleine de caca. Je grimace et me bouche le nez d’une main, de l’autre j’essaye tant bien que mal de lui enlever sans en mettre partout. Anne arrive à ce moment-là et me lance un regard exaspéré.

 

 Vous faites encore des manières après tout ce temps ? Ça fait déjà deux mois que vous le faites, vous devriez être habitué. Et je vous ai déjà dit de la mettre sur le dos !

 

 Je ne m’habituerais jamais à l’odeur ! Ma parole, elle a un cimetière dans le cul, me plains-je.

 

Vous pensez que le vôtre sent la rose peut-être ? se moque-t-elle gentiment.

 

Je ne réponds rien car je sais qu’elle a raison, je fais des manières. Mais borde, qu’est-ce que ça pue ! Une fois la couche sale à la poubelle, j’attrape de ma main libre une lingette et essuie comme je peux les fesses de la petite chipie. Le nez toujours bouché par la main gauche bien sûr. J’entends Anna soupirer derrière moi parce que je n'en fais qu'à ma tête.

 

 Poussez-vous et laissez-moi faire ! Vous nettoyez ça n’importe comment. Ne restez pas dans mes pattes.

 

Sur ces mots, elle me pousse et prend ma place en replaçant le bébé sur le dos. Je ne proteste pas, au contraire, je suis plutôt content de m'être débarrassé de cette corvée. C’est avec grand plaisir que je la laisse nettoyer comme il faut les fesses d'Amé.

 

 ***

 

Aujourd’hui, nous fêtons quelque chose de particulier. Nous sommes le dix-sept mai et nous célébrons le premier anniversaire d’Amé. Nous avons décidé avec Anne, que le jour de son arrivée parmi nous, serait sa date de naissance. C'est plus simple ainsi. Pour cette occasion, je lui ai acheté une grosse piscine à balles, apparemment les enfants adorent ça. Ça fait maintenant un peu plus d’un mois qu’elle marche, elle trottine à toute vitesse partout dans le château. Un vrai calvaire. J'ai pensé plus d'une fois à l'attacher contre un poteau, je l'avoue. Je la suis comme un toutou pour m'assurer qu'elle ne se blesse pas ou ne casse rien. Si elle par malheur elle brisait un de mes précieux vases qui m'ont coûtés un bras, je n'aurais plus que mes yeux pour pleurer. Elle a aussi prononcé son premier mot : Dra, pour Dracula. J’étais tout ému, j'ai presque eu la larme à l’œil. Les jours sont animés, chaleureux quoique un brin épuisant, mais je ne m'en plains pas. Je suis heureux que ce petit soleil soit entré dans nos vies. J'ai su en l'apercevant devant cette porte que cela transformerait mon quotidien, mais pas seulement. J'ai l'impression d'être redevenu celui d'avant, qui aimait la vie et ses proches. Aussi bizarre que cela puisse paraitre, aujourd'hui, je me sens humain.

 

***

 

Nous sommes en hiver, la neige est tombée toute la nuit. Au réveil, nous avons pu voir un épais manteau blanc recouvrir le paysage. Amé a maintenant cinq ans et c'est une vraie petite chipie. Je suis assis à mon bureau, un café à côté de moi, quand une Amé toute excitée entre dans la pièce. Elle est emmitouflée de la tête aux pieds : jogging, grosse doudoune, bonnet, écharpe, gants et grosses bottes fourrées. Elle est prête pour aller jouer dans la neige.  

  

 Dra, je vais aller faire un bonhomme de neige. Tu viens avec moi ? demande-t-elle.  

  

 Plus tard, j'ai beaucoup de boulot, décliné-je avec un petit sourire. 

  

Bien sûr, ma réponse ne lui plaît pas. Elle fait la moue en croisant les bras. Elle pense que je vais céder comme quatre-vingt-dix pour cent du temps, mais pas cette fois. Je soutiens son regard jusqu'à ce qu'elle abandonne, ce qui arrive rapidement. Elle part en tirant la langue et en marchant bruyamment pour montrer son mécontentement. Je reporte alors mon attention sur mon ordinateur. Je dois répondre à Thomas, la personne qui gère mes biens immobiliers depuis maintenant trente ans. Nous communiquons exclusivement par mail ou par téléphone, il n'y a jamais eu de contact physique pour des raisons évidentes. Comment aurais-je pu expliquer mon apparence physique restée inchangée depuis de si nombreuses années ? Cette immortalité n'est pas toujours facile, nous sommes si différents des humains. Amé ne s'en rend encore pas compte. Elle ignore que je suis un vampire, mais un jour arrivera où elle posera des questions. Et quand ce moment arrivera, je devrai essayer de me montrer honnête et lui répondre en toute sincérité. J'appréhende déjà ce jour, j'ai peur de sa réaction. Comment va-t-elle prendre tout ça ? Je n'aurai pas la réponse tout de suite, heureusement, j'ai encore quelques années de répit.   

  

Une heure après, je rejoins Amé dans le jardin derrière le château et je l'aide à faire un gros bonhomme. Elle semble ravie que je joue avec elle et moi aussi. J'aime passer du temps en sa compagnie. Elle est toujours souriante et enthousiaste, c’est une bouffée d’oxygène. Nous faisons également une bataille de boules de neige. Je pourrais facilement toutes les éviter, mais je la laisse me toucher pour lui faire plaisir. Elle rit aux éclats. Au bout d'une dizaine de minutes, je mets fin au jeu et nous rentrons nous réchauffer à l’intérieur. Nous prenons un chocolat chaud avec des biscuits au coin du feu avec Anne qui tricote dans son fauteuil.  

  

*** 

  

Amé a douze ans quand elle me pose la question fatidique que je redoute tant. Elle est assise dans mon lit à mes côtés, je lui lis une histoire. C'est notre petit rituel du soir depuis des années maintenant. Nous aimons ça autant l'un que l'autre. Je suis en plein milieu de l'histoire quand elle m’interrompt en m’interpellant. Je pose le livre sur mes genoux et lui demande ce qu'il y a. 

  

 Dis, pourquoi tu ne vieillis pas ? Tu as toujours la même tête depuis que je suis petite, c'est bizarre, dit-elle d'un ton calme et sérieux.  

  

Je soupire, ne sachant pas par où commencer. J'ai redouté tant de fois cette discussion, je me suis imaginé la scène un nombre incalculable de fois, mais aujourd’hui, maintenant que j'y suis confronté, je suis perdu. Je ne sais quoi lui répondre, contrairement à ce que je m'étais toujours dit, j'envisage de lui mentir. 

  

 Tu es malade ? demande-t-elle inquiète, devant mon silence. 

  

Amé me tend une perche que je saisis dans la panique. Elle est une petite fille naïve et je décide d'en profiter par pure lâcheté. Je n'ai pas envie que l'affection qu'elle a pour moi change si je lui dis la vérité, alors égoïstement, je choisis de lui mentir. Du moins pour l'instant, car je me doute qu'elle ne gobera pas cette histoire jusqu'à ses vingt ans. 

  

 Oui, c'est ça, je suis malade. Mes cellules ne vieillissent plus et un jour, je mourrai comme ça, d'un coup, réponds-je en haussant les épaules. 

  

 Tu mourras jeune alors ? dit-elle avec un air triste. 

  

 Je ne suis pas si jeune que ça, ris-je. J'aurai bien vécu. 

  

 Moi je ne veux pas que tu meures, jamais ! proteste-t-elle en m’enlaçant. 

  

Je lui rends son étreinte et l'enlace à mon tour. J'ai envie de lui dire "ne t'inquiète pas ma puce, je mourrai après toi quoi qu'il arrive " mais je m'abstiens. Je ne lis pas le reste de l'histoire ce soir-là, Amé s'endort rapidement contre moi, une larme coulant sur sa joue. 

  

 *** 

  

Les années défilent à une telle vitesse depuis qu'Amé habite dans le château. Elle a beaucoup grandi et elle est devenue une jolie jeune fille. Elle a quinze ans et elle est entrée au lycée depuis un peu plus de deux mois. Elle ne va pas tarder à rentrer de l'école d'ailleurs. Je suis assis dans un fauteuil, un livre entre les mains. Ça fait plus de dix minutes que je suis à la même page, je n'arrive pas à me concentrer sur ma lecture. Je suis perdu dans mes pensées. 

  

 Je suis rentrée, chantonne une petite voix.  

  

Amé pénètre dans le salon, le sourire aux lèvres. Elle balance son sac d'école par terre et s'affale sur le canapé en posant les pieds sur la table basse.  

  

 Ne va pas me dire que les cours t'ont épuisée à ce point. Et ramasse ton sac, je ne te paye pas des affaires pour que tu les maltraites comme ça, grondé-je. 

— Deux minutes, je suis fatiguée, répond-elle avec ce petit ton qui m'agace fortement. 

  

Foutue crise d'ado. Ça fait maintenant un an qu'elle fait sa rebelle, qu'elle parle sur un ton plus que moyen et répond. Parfois, j'ai envie de l'encastrer dans un mur ou de la noyer dans la fontaine devant le château.  

  

 Amé, je ne vais pas me répéter. Et enlève aussi tes baskets sales de la table. Tu as dix secondes ou ça va chauffer pour toi, je préviens calmement. 

  

Elle soupire et se lève pour ramasser son sac. Elle sait très bien qu'il ne vaut mieux pas m'énerver. Elle monte en ronchonnant jusqu'à sa chambre. Anne débarque à ce moment avec un verre à la main qu'elle dépose sur la table basse. Mon regard se pose sur ce liquide rouge qui m’hypnotise. 

  

 Voici votre jus de tomate, dit-elle en me faisant un clin d’œil. 

  

Je la gratifie en souriant. Heureusement qu'elle est là, je ne la remercierai jamais assez d'être entrée à mon service. Elle s'assoit sur le canapé et commence à tricoter. C'est son passe-temps favori, elle donne ce qu'elle a fait à des associations caritatives. Je reprends mon livre, mais pour une courte durée. Amé revient en faisant autant de bruit qu'un éléphant. Je lève les yeux au ciel, la discrétion n'est pas son fort. 

  

 Vous ne devinerez jamais la nouvelle du jour ! Un truc de dingue m'est arrivé, dit-elle toute excitée. 

  

Je ne lève pas les yeux de ma lecture, mais je réponds calmement. 

  

— Tu as enfin eu une note au-dessus de la moyenne ?  

  

Je ne la vois pas, mais je sais qu'elle me fusille du regard. Amé n'est pas une bonne élève et pourtant dieu sait que je lui ai donné des cours particuliers depuis toute petite. Sans aucun résultat, à mon plus grand désarroi. Idiote un jour, idiote toujours. 

  

 Haha très drôle, je suis morte de rire. Tu sais que je fais des efforts et travaille sérieusement, mais je n'y peux rien si je n'y arrive pas.  

  

 Je ne t'ai pas vu ouvrir un livre depuis le début de l'année Amé, rétorqué-je sèchement. 

  

— Désolé de ne pas être aussi intelligente que toi ! 

  

Je sais que je suis parfois dur avec elle, mais je veux qu'elle réussisse sa vie. Alors; la voir faire sa rebelle à deux balles et ne rien faire à l'école, ça m'agace fortement. J'ai envie de la secouer, qu'elle se remue un peu le popotin.  

  

 Je te donnerai des cours samedi matin. 

  

 Oh non ! Je fais la grasse mat le week end, tu le sais bien, proteste-t-elle. 

  

Amé et ses grasses matinées. Comment est-ce qu'on peut dormir jusque midi ? Quelle perte de temps ! Elle pourrait faire tellement de chose, comme réviser par exemple, au lieu de dormir douze heures. Je soupire et lui propose donc l'après-midi. 

  

 Ah ça ne va pas être possible, dit-elle toute souriante. 

 

Je vais l’étrangler. S’il me dit qu’elle fait la sieste, je ne réponds plus de moi. 

  

— Amé, c'est non négociable, tes notes sont trop mauvaises. 

  

Et là, quelque chose que je n'ai pas vu venir se produit. Je n'ai jamais pensé à cette éventualité avant que ça me tombe dessus. 

  

 Je ne peux pas. J'ai un rencard avec un garçon de mon école, sourit-elle. 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires: 3
  • #1

    Ayumi (dimanche, 22 avril 2018 11:40)

    Je te l'ai déjà dis, j'ai de la peine pour la pauvre Anne qui a 65 ans passés et qui est encore obliger de travailler xD Esclavagisme !
    Sinon j'aime bien ta nouvelle histoire j'ai hate de voir la suite ^^
    Bisouille ma belle ♥

  • #2

    Hanna (dimanche, 22 avril 2018 12:04)

    Cest juste des petites taches ménagères :p MErci ma chérie <3

  • #3

    Ayumi (dimanche, 22 avril 2018 15:36)

    JUSTE des petites taches ménagères? Dois-je te rappeler que j'ai 24 ans et que je viens de me bloquer le dos en passant l'aspi XD ? C'est mortel tout ça je te dis ! Tu vas avoir le mort de cette femme sur la conscience !